Nous avons étudié précédemment la première prière de
Hanna. Voyons maintenant sa seconde prière, celle qu’elle prononça après la
naissance de son fils. Elle se situe au début du Chapitre 2 de Chmouel
I.
Deux phrases pleines de sens
Voyons ensemble simplement les deux premiers versets de
Hanna.
א וַתִּתְפַּלֵּל חַנָּה, וַתֹּאמַר, עָלַץ לִבִּי בַּה׳, רָמָה קַרְנִי
בַּה׳; רָחַב פִּי עַל-אוֹיְבַי, כִּי שָׂמַחְתִּי בִּישׁוּעָתֶךָ.
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1 Et Hanna pria, et elle dit: Mon cœur
exulte en l'Eternel, mon front s'est relevé grâce au Seigneur; je puis ouvrir
la bouche en face de mes ennemis, car j'ai à me réjouir que Tu m’aies sauvée.
|
Que peut-on remarquer sur les verbes utilisés dans cette
première phrase ?
1)
Le
verbe « עָלַץ »
signifie « exulter ». Il s’agit d’une fore de joie très forte.
D’ailleurs, dans la Torah, les verbes sont composés de racines à trois lettres.
Il y a une théorie selon laquelle lorsque deux verbes ont des racines quasiment
similaires, où seule une lettre diffère, alors ces verbes ont un sens
similaire. La lettre différente viendra donner une intensité, une connotation
différente à ces deux verbes. Par exemple, dans notre cas, le verbe « עָלַץ » est très proche, même au
niveau sonore, du verbe « עָלַז ». Ce dernier représente une sorte de paix intérieure, de
joie tranquille[1]. La
lettre « ץ »
ressemble à la lettre « ז », mais elle est plus prononcée, plus dure ; elle
nécessite que l’on appuie plus fort sur le palais lorsqu’on la prononce. Par
conséquent, verbe « עָלַץ »
représente une joie émotionnellement forte.
2)
Le
verbe « רָמָה »
signifie « relever » ou plutôt « élever ». L’expression
« רָמָה קַרְנִי »
est idiomatique. Elle signifie littéralement : « ma corne s’est
élevée » que l’on pourrait rendre en « mon front s’est relevé ».
3)
Le
verbe « רָחַב »
représente l’ouverture, le fait de devenir plus large.
Si l’on résume, nous avons trois verbes : exulter /
élever / élargir. Quel est le point
commun de ces trois verbes ? Quelle idée se retrouve-t-elle dans chacun de
ces verbes ? En fait, il s’agit, à chaque fois, d’une expansion :
extérieure (verticalement et horizontalement) et intérieure (exaltation).
D’où vient cette « explosion » sentimentale de
Hanna ? Si l’on revient un tout petit peu en arrière dans son histoire, on
se rappellera la puissance, l’intensité, la passion avec lesquelles Hanna
vivait ces événements. On se souviendra aussi de l’impuissance des trois
personnages qui l’entourent à lui porter secours : Eli la prend pour une
saoule, Elkanna ne comprend pas son désarroi car, selon lui, son amour pour
elle vaut bien mieux que dix enfants, et Peninna qui joue pleinement son rôle
de rivale (en hébreu, rivale se dit « צָרָה » qui vient du mot « צָר » - « détresse » ou
« étroitesse »). En réalité, Hanna est dans une situation de « צָרָה » qui signifie aussi
« détresse » mais qui, littéralement, se traduit par
« étroitesse ». En effet, plus
la situation dans laquelle est étroite, c’est-à-dire, moins il y a d’options
qui s’offrent à nos, plus grande sera notre sentiment de détresse, plus grand
sera notre sentiment de perte de liberté.
Hanna se trouvait dans une détresse. Elle réagit en
priant. Et sa prière l’aide à exploser cette étroitesse…
Continuons.
ב אֵין-קָדוֹשׁ כַּה׳, כִּי אֵין בִּלְתֶּךָ; וְאֵין
צוּר, כֵּאלֹקֵינוּ.
|
2 Nul n'est saint comme l'Eternel, car
il n’y a personne à part Toi ! Et il n’existe aucun rocher comme notre D.ieu.
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Cette deuxième phrase a l’air de n’avoir aucun sens
rationnel. Pour plusieurs raisons :
1)
Est-ce
vrai qu’ « il n’y a personne à part Toi » ? Hanna ne dit pas qu’il n’y a pas d’autres
dieux, elle dit qu’il n’y a rien à part D.ieu. Mais nous, par exemple,
n’existons-nous pas ?
2)
Et
puis, admettons que cela soit vrai. En quoi le fait qu’Il soit le seul à
exister fait de D.ieu un Saint ? Quel rapport entre Sa sainteté et le fait
qu’il n’ait personne à part Lui ?
3)
De
plus, quel rapport y-a-t-il entre le début et la fin de la phrase ?
Pourquoi parler de D.ieu comme étant un rocher juste après avoir proclamé Sa
sainteté ?
4) Enfin, quel lien entre la joie, l’exaltation du
premier verset avec la sainteté de D.ieuque Hanna exprime dans le second verset ?
Nous répondrons à ces questions et nous verrons alors,
comme le dit le Malbim, que Hanna dévoile par ces quelques mots ce qu’est la
Sainteté de D.ieu. Dans l’immédiat, j’aimerais que nous nous réfléchissions,
justement, à cette notion de kédousha – sainteté.
Sainteté
Que représente cette notion de Sainteté dans la
Torah ?
Nous voyons par exemple le terme kadosh – saint
dans les lois concernant les objets du Temple. Par exemple, si l’on souhaite
apporter un animal en sacrifice, on doit le sanctifier (להקדיש). En d’autres termes,
avant qu’on ne le sanctifie, cet animal était destiné à tout type
d’usage ; maintenant, il est destiné au Temple et aucune autre utilisation
de cet animal n’est possible.
Nous retrouvons cette notion lors du mariage dont la
première phase s’appelle les kidoushine - קידושין. De
nos jours, cette phase du mariage se passe lorsque le mari donne l’anneau à sa
femme. Une fois la phase des kidoushine faite, l’homme et la femme ne
sont pas complètement mari et femme ; car il faut encore que la deuxième
étape – que l’on appelle les nissouyine – se passe. Cependant, une telle
femme est déjà considérée comme la femme de cet homme pour ce qui est des lois
des relations extraconjugales. En d’autres termes, les kidoushine
sanctifient une femme à un homme, ils créent une relation séparée, réservée, du
reste du monde.
Ce qui ressort de ces deux exemples est que la Sainteté
correspond à une séparation. L’animal sanctifié est séparé du monde pour
n’avoir qu’une seule utilisation possible. La femme sanctifiée est séparée du
monde pour n’avoir qu’une seule relation réservée avec son mari.
D.ieu est Saint. Il serait dont, Lui aussi, séparé.
Qu’est-ce que cela signifie ?
C’est vrai que le moins que l’on puisse dire est que
D.ieu est différent de nous. Si je vous demandais de lister nos différences,
vous me diriez surement que D.ieu est :
-
Omniscient
-
Omniprésent
-
Notre
Créateur
-
Eternel
-
Sans
forme
-
Au
dessus du Temps
-
En
dehors de l’Espace
-
En
dehors même de notre champ de compréhension[2] !
Fondements du Rambam
J’aimerais maintenant que nous étudiions ensemble un
texte du Rambam qui, je pense, traite exactement de la Sainteté de D.ieu.
רמב"ם הלכות יסודי התורה פרק א
א. יסוד היסודות ועמוד החכמות לידע שיש שם מצוי ראשון,
והוא ממציא כל נמצא, וכל הנמצאים משמים וארץ ומה שביניהם לא נמצאו אלא מאמתת המצאו.
ב. ואם יעלה על הדעת שהוא אינו מצוי אין דבר אחר יכול להמצאות. ג. ואם
יעלה על הדעת שאין כל הנמצאים מלבדו מצויים הוא לבדו יהיה מצוי, ולא יבטל הוא לבטולם,
שכל הנמצאים צריכין לו והוא ברוך הוא אינו צריך להם ולא לאחד מהם, לפיכך אין אמתתו
כאמתת אחד מהם. ד. הוא שהנביא אומר וה' אלהים אמת, הוא לבדו האמת ואין לאחר
אמת כאמתתו, והוא שהתורה אומרת אין עוד מלבדו, כלומר אין שם מצוי אמת מלבדו כמותו.
Chapitre Premier du Yad, Yessodé
Hatorah[3]
1. Le fondement de tous les fondements
et le pilier de toutes les sciences est d’être conscient qu’il est une
Existence Première qui fait venir toute chose à l’existence. Toute chose
existante du Ciel et de la Terre, ou intermédiaire, n’est venue à l’existence
qu’en vertu de la vérité de Son existence. 2. Si l’on considérait qu’Il
n’existe pas, rien d’autre ne pourrait exister. 3. Si l’on supposait que
tous les autres êtres sont inexistants, Lui seul continuerait d’exister ; leur
non-existence n’impliquerait pas Sa non-existence. Car tous les êtres ont
besoin de Lui, mais Lui, béni soit-Il n’a pas besoin d’eux, ni d’aucun eux.
C’est pourquoi, Sa réalité est différente de celle de chacun d’eux. 4.
C’est ce que le prophète entend quand il dit : « L’Eterne-l D.ieu est vrai » ;
Lui seul est réel, et aucun autre n’a une réalité semblable à la Sienne. C’est
[cette idée] que la Thora exprime [dans le verset] : « Il n’est rien d’autre
que Lui », c'est-à-dire « il n’est pas d’existence autre que Lui qui est réelle
comme Lui ».
Je vous invite à prendre 10 minutes pour lire ces
quelques phrases du Rambam et de lister toutes les questions ou commentaires qui vous viennent à l’esprit.
Voici quelques points qui m’ont interpelé :
1)
Pourquoi
le Rambam parle-t-il de « vérité de Son existence » ? Pourquoi ne pas parler simplement d’existence ?
On retrouve cette notion à plusieurs endroits. Quel message veut-il nous
transmettre ?
2)
Pourquoi
parler d’ « Existence Première » et non de « Cause Première » ?
Cela voudrait dire que Sa seule existence permet l’existence de chaque être sur
terre. Notre existence ne serrait qu’un corollaire de la Sienne. Comment
comprendre cela ?
3)
Notons
le temps utilisé : il s’agit du présent. Il « fait venir toute chose à l’existence ». Cela laisse entendre que tout ceci n’est pas
ponctuel, mais perpétuel. Il ne s’agit pas d’expliquer la création des êtres sur
terre, mais leur existence même, à l’instant présent. C’est ce qui ressort des
paragraphes 2 et 3.
4) D’ailleurs, les paragraphes 2 et 3 ne sont pas
très clairs. Qu’est-ce que le Rambam cherche-t-il à nous dire ? On a l’impression
qu’il s’agit de phrases compliquées censées nous apprendre que le monde est
dépendant de D.ieu mais que Lui n’est pas dépendant du monde. C’est-à-dire que
philosophiquement, on pourrait concevoir un D.ieu sans monde, mais point de
monde sans D.ieu. Pourquoi ?
5)
A la
fin du paragraphe 3, il a l’air de dire qu’il y a différents niveaux de réalité
ou de vérité. Qu’est-ce que cela signifie ?
6) Finalement, quelle est la définition du mot « אמת » - « Vérité » pour Rambam ?
La Vérité
J’aimerais maintenant que nous étudiions ensemble un
texte du Rambam qui, je pense, traite
Commençons
par traiter cette dernière question. Aussi bizarre que cela puisse paraitre, je
pense que Rambam a la même conception de la vérité que nous. Je m’explique :
nous disons de la proposition "1+1=2" qu’elle est vraie. C’est aussi
simple que cela, la vérité.
Prenons
l’exemple suivant. Vous êtes un étudiant très charismatique et vous pensez que
"4+4=7". Vous en êtes convaincu et vous arrivez même à en convaincre votre
professeur de mathématiques. Puis, c’est au tour du professeur de philosophie d’y
croire. Bref, toute votre université est maintenant convaincu que "4+4=7".
Cette idée fait son chemin et, à force de communication et de persuasion, toute
la France, puis tout le monde pense désormais que "4+4=7" est
vraie. Plus personne, dans le monde, ne pense que "4+4=8".
Dans une
telle situation, la phrase "4+4=7" a-t-elle une existence ? La
réponse est : Oui ! Car, en effet, des gens sur terre pensent que
cette phrase est vraie. Il y a cependant une différence entre les propositions "4+4=7"
et "4+4=8" ? Quelle est cette différence ? Certes, les deux
existent, mais l’une est essentiellement vraie ("4+4=8") et l’autre
est essentiellement fausse ("4+4=7"). En d’autres termes, "4+4=7"
ne doit son existence qu’au fait que des personnes y croient. Si ces personnes
changent d’avis ou disparaissent, cette phrase n’existera plus. En philosophie,
on appelle cela une existence contingente. Tandis que "4+4=8"
ne doit son existence à personne. Même si aucun homme sur terre n’y croit, elle
ne cessera d’exister car elle a une existence indépendante.
Pour appuyer
un petit peu cette idée, nos sages font remarquer les lettres formants le mot
vérité en hébreu sont : אמת. Ces trois lettres sont stables, elles ont au moins deux points
de contact avec le sol. De plus, elles sont la 1ère, la dernière et
la lettre du milieu de l’alphabet hébraïque : le centre de gravité est
bien placé le mot est bien stable. Tandis que le mot hébreu pour mensonge est שקר. Ces lettres sont
instables et sont trois lettres suivies de la fin de l’alphabet. Le centre de
gravité est décalé. Le mot ne tient pas tout seul, il ne tiendra debout que si
quelqu’un le soutiendra. La vérité n’a besoin de personne pour exister, son
existence est indépendante.
Cette
explication faite sur la notion de vérité, relisons ensemble le texte du Rambam
et vous verrez que toutes les questions que nous nous sommes posées s’évaporent…
1. Le fondement de tous les fondements
et le pilier de toutes les sciences est d’être conscient qu’il est une
Existence Première qui fait venir toute chose à l’existence. Toute chose
existante du Ciel et de la Terre, ou intermédiaire, n’est venue à l’existence
qu’en vertu de la vérité de Son existence.
D.ieu
est une « Existence
Première » : Personne n’a décidé de le créer, Il existe, c’est
tout. « Toute chose (…) n’est
venue à l’existence qu’en vertu de la vérité de Son existence »,
c’est-à-dire : en vertu de la réalité indépendante de Son existence. Toutes
les choses qui sont sur terre n’ont qu’une existence contingente, leur
existence dépend de D.ieu.
2. Si l’on considérait qu’Il n’existe
pas, rien d’autre ne pourrait exister.
Son existence
est indépendante de toute autre existence. Il est la vraie existence. Toute
autre existence n’est qu’un corollaire de Son existence.
3. Si l’on supposait que tous les
autres êtres sont inexistants, Lui seul continuerait d’exister ; leur
non-existence n’impliquerait pas Sa non-existence. Car tous les êtres ont
besoin de Lui, mais Lui, béni soit-Il n’a pas besoin d’eux, ni d’aucun eux.
C’est pourquoi, Sa réalité est différente de celle de chacun d’eux.
Dès
lors, il est normal de considérer différents niveaux d’existence. Nous avons,
en temps que créatures, un certain degré d’indépendance dans notre existence. Mais
celui-ci est incomparable avec celui de D.ieu qui, Lui, est la fondation de l’existence
réelle, indépendante.
Conclusion
Revenons à Hanna. Un peu plus tôt, nous nous étions demandé
comment définir la sainteté de D.ieu. Nous avions pensé au fait que D.ieu est au-delà
du Temps et de l’Espace, omniscient etc. Mais ce n’est pas comme cela que Hanna
voit cette sainteté.
En effet, le problème de tous ces attributs est qu’il
renforcent notre sentiment que D.ieu n’a rien à voir avec nous, qu’Il est
tellement différent et séparé qu’il nous est impossible d’avoir une quelconque
relation avec Lui.
Vient Hanna, et elle nous apprend qu’il y a une autre
manière d’appréhender la Kédousha. Certes, Il est séparé, mais ce n’est
pas parce qu’Il est différent. Non, il est séparé parce qu’Il est la cause de
toute existence, de mon existence. Il est le « rocher », la
fondation de toute existence, de mon existence.
Hanna
était dans une détresse. Personne ne la comprenait. Mais qui mieux que D.ieu
peut la comprendre ?! Il est celui par qui l’existence de Hanna est
réelle, Il est celui qui est la base de tout ce qu’elle vit. C’est pour cela qu’elle
se tourne vers Lui, celui-qui est La Sainteté incarnée.
Voilà ce
que Hanna nous a révélé à propos de la Kédousha.
Traduit librement par Naty
à partir d’une série de conférences données par Rav Fohrman. Le titre original
de la série est : « Is it Kosher to argue ? ».
[1] N.d.T – Voir par exemple Téhilim
149:5
[2] C’est pour cela qu’il ne nous est pas
permis d’ajouter des attributs à D.ieu, autres que ceux que nos maîtres ont
institué dans la prière. En effet, nous n’avons rien, dans notre expérience
personnelle, dans notre vocabulaire pour décrire D.ieu. Cela me fait penser à
cet homme qui a vécu des horreurs au Vietnam et qui refusait de les raconter
car disait-il : « Seuls ceux qui ont vécus quelque chose de
similaire pourraient comprendre ! Et même si je cherche les plus précis
des mots pour en parler, les gens ne saisiraient pas l’ampleur des horreurs que
j’ai vécues… »
[3] N.d.T – traduction du Beth Loubavitch
disponible au lien suivant : http://www.loubavitch.fr/etude/etudes-quotidiennes/rambam-1/detailevenement/80446/-/rambam-1-chapitre
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