Lé’ilouï Nichmat Myriam bat Menana –
לעלוי נשמת מרים בת מננה
Le plaidoyer de Yéhouda
au début de la Parachat Vayigach a
des résonnances dans le Tanakh.
Par exemple, dans Shmouel I, il est dit que (18:1) « וְנֶפֶשׁ
יְהוֹנָתָן, נִקְשְׁרָה בְּנֶפֶשׁ דָּוִד »
- « l’âme de Yonathan s’est attachée à l’âme de David ». Cette
expression rappelle évidemment ce que Yéhouda dit à Yossef afin de faire
libérer Binyamin. Il dit que si Binyamin n’était pas libéré, son père
risquerait de mourir car (Béréchit
44:30) « וְנַפְשׁוֹ, קְשׁוּרָה בְנַפְשׁוֹ »
- « son âme est attachée à son âme ». Cette similitude de formulation
n’est pas anodine ; elle est porteuse de signification sur la relation
entre Yonathan et David.
Nous n’allons pas
étudier cet épisode maintenant. J’aimerais plutôt que nous nous concentrions
sur un petit passage qui se trouve dans Melakhim
I et qui va nous amener à visiter
d’autres passages du Séfer Béréchit.
Oubliez maintenant Yossef et ses frères, nous y reviendrons plus tard.
Qui est Eliahou ?
Nous
allons maintenant parler d’un personnage que vous connaissez tous. Il s’agit
d’Eliahou Hanavi. C’est un personnage
assez présent dans nos vies, mais allons voir comment le Tanakh en parle. Voici le premier verset qui parle d’Eliahou (Melakhim I 17:1)
א וַיֹּאמֶר אֵלִיָּהוּ
הַתִּשְׁבִּי מִתֹּשָׁבֵי גִלְעָד, אֶל-אַחְאָב, חַי-ה׳ אֱלֹקֵי יִשְׂרָאֵל אֲשֶׁר
עָמַדְתִּי לְפָנָיו, אִם-יִהְיֶה הַשָּׁנִים הָאֵלֶּה טַל וּמָטָר--כִּי,
אִם-לְפִי דְבָרִי.
|
1
Eliahou le Tishbi, un de ceux qui habitait Guil’ad, dit à A’hav: "Par le
D.ieu vivant, divinité d'Israël, Celui devant Qui j’ai été! Il n'y aura, ces
années-ci, ni pluie ni rosée, si ce n'est à mon commandement (litt. selon ma
parole)."
|
Ce premier verset
soulève chez moi quelques questions.
Questions
1/ Aucune présentation
Tout
d’abord, il y a quelque chose de très étonnant ici. Eliahou a l’air de sortir
de nulle part ! Aucune présentation
n’est faite avant son apparition. Il vient prendre une décision
radicale : il déclare une sécheresse, mais le texte ne nous dit pas qui
est Eliahou. On ne connaît rien de sa vie.
Alors, c’est vrai.
Eliahou Hanavi est présent dans nos
vies. On lui prépare un verre de vin pour le Séder de Pessa’h, on lui
prévoit une chaise lors de la Brith Mila,
il y est le Malakh Habrith – l’ange
de l’alliance, on parle de lui tous les samedi soirs lors de la havdala. On le connaît aussi à travers
le Talmud où il apparaît à de nombreuses reprises. Mais alors pourquoi le texte
du Tanakh ne nous dit-il rien sur Eliahou avant cette déclaration ?
A titre de comparaison,
on sait beaucoup de choses de Shmouel, le prophète. Le texte nous le présente
en détail : on sait d’où il vient, qui sont ses parents, comment il est né
etc.
Pourquoi le Tanakh ne daigne-t-il pas présenter un
prophète aussi important qu’Eliahou ?
2/ Pour qui agit-il ?
Sa
première action présentée dans le Tanakh
a forcément son importance pour comprendre le personnage d’Eliahou. Alors,
relisez bien le verset cité ci-dessus et déterminez si Eliahou agit de son propre chef ou s’il suit les instructions de
Hachem.
Voyons
peut-être le contexte de cette déclaration d’Eliahou : Le tout nouveau roi
s’appelle A’hav et il est mauvais. Il sert la ’avoda zara (appelée ba’al),
il lui fait même construire une maison (au lieu de s’occuper de reconstruire le
Beth Hamikdach), il se marie avec
Izével, une étrangère. C’est pendant son règne qu’un dénommé ’Hiel a
reconstruit la ville de Yéri’ho et a perdu tous ses enfants. En effet, à
l’époque de Yéhochoua’, Hachem avait prévenu que toute personne qui
reconstruirait Yéri’ho perdrait ses enfants.
C’est
là qu’Eliahou s’exprime. Peut-on considérer, à la lecture des mots employés par
Eliahou que celui-ci est bien un chalia’h,
un envoyé de Hachem ? Certes, il dit qu’il se tient devant D.ieu. Mais
D.ieu lui a-t-Il demandé de dire cela ?
Il semblerait bien que non ! Il
semblerait bien qu’Eliahou ait décidé tout seul de formuler cette sentence de
sécheresse…
Ceci
est ’d'autant plus clair quand on regarde les versets qui encadrent cette phrase
prononcée par Eliahou:
לד כִּדְבַר ה׳, אֲשֶׁר דִּבֶּר
בְּיַד יְהוֹשֻׁעַ בִּן-נוּן. {ס}
|
34 (…) conformément à la parole de D.ieu
transmise par Yéhochoua’ Bin Noun.
|
א וַיֹּאמֶר אֵלִיָּהוּ
הַתִּשְׁבִּי מִתֹּשָׁבֵי גִלְעָד, אֶל-אַחְאָב, חַי-ה׳ אֱלֹקֵי יִשְׂרָאֵל אֲשֶׁר
עָמַדְתִּי לְפָנָיו, אִם-יִהְיֶה הַשָּׁנִים הָאֵלֶּה טַל וּמָטָר--כִּי, אִם-לְפִי דְבָרִי.
|
1
Eliahou le Tishbi, un de ceux qui habitait Guil’ad, dit à A’hav: "Par le
D.ieu vivant, divinité d'Israël, Celui devant lequel j’ai été! Il n'y aura,
ces années-ci, ni pluie ni rosée, si ce n'est à mon commandement (litt. selon ma parole)."
|
ב וַיְהִי דְבַר-ה׳, אֵלָיו לֵאמֹר.
|
2 Et la parole de D.ieu lui fut adressée en ces
termes:
|
Ceci
met bien en exergue le « לְפִי דְבָרִי » - « selon ma parole »
employé par Eliahou comme étant en opposition avec « דְבַר-ה׳ » - « la parole de D.ieu ».
Eliahou a bien l’air d’agir de manière
unilatérale, sans pré-accord ou demande directe de Hachem.
Eliahou : un chalia’h ?
Alors
on pourrait considérer qu’Eliahou est un chalia’h
(envoyé, émissaire) de D.ieu, sans que D.ieu ne l’ait spécifiquement appointé
pour cette mission.
Mais
est-ce possible ? Peut-on faire quelque chose pour le compte de quelqu’un
sans que celui-ci ne soit au courant ? La réponse halakhique est : oui !
En
effet, on dit (Kiddushin 23) :
« זכין לאדם שלא בפניו » -
« On peut faire profiter une personne même si elle n’est pas présente ».
C’est-à-dire que je pourrais me nommer chalia’h
pour un ami sans que celui-ci ne soit au courant que je fais une action pour
son bénéfice. Par exemple, si je trouve un billet de 100€ dans la rue et que je
veux l’acquérir pour mon ami, cela fonctionne : il appartient bien
désormais à mon ami bien que ce dernier ne le sache pas encore.
Alors peut-être pourrait-on dire que c’est
pareil avec Eliahou. Il se serait lui-même nommé chalia’h de Hachem pour décréter la sécheresse. En tout cas, Hachem
le suit dans ce décret puisque la sécheresse s’installe durablement…
Qui suit qui ?
La
question que l’on pourrait maintenant se poser est la suivante : quelle
est la différence entre les fois où Hachem demande à Eliahou de faire une
action et les fois où Eliahou se nomme tout seul chalia’h ?
Qu’est-ce qu’un « ’Oved Hachem » ?
Selon
vous, qu’est-ce que cela signifie que d’être un « ’Oved Hachem » (litt. « Qui sert D.ieu ») ? En
général, on dira qu’il s’agit d’être une
personne qui suit Hachem, qui respecte ses commandements.
Mais
Eliahou va plus loin que simplement suivre Hachem, il est devant Lui, il Le devance.
Qu’est-ce
que ça veut dire « être devant D.ieu », « Le
devancer » ? Jusqu’où est-ce qu’on peut aller et être sûr que D.ieu
nous suivra ? Comment être sûr qu’on n’ira pas trop loin ?
Au passage, il y a un prophète de l’époque d’Eliahou qui
s’appelle ’Ovadiahou. Ce dernier est loyal à A’hav et essayera de discuter,
négocier avec lui. ’Ovadiahou et Eliahou s’opposent sur la méthode à adopter
vis-à-vis d’A’hav. Et ceci peut même se voir dans leurs noms :
-
’Ovadiahou : עבדיהו peut se décomposer en « עבד
- יה » : ’Oved
Hachem
-
Eliahou : אליהו peut se décomposer en « אלי
- יהו » : Mon D.ieu
est Hachem !
Il s’agit de deux modèles. Le premier suit Hachem, il respecte
ses demandes. Mais le second, Eliahou, proclame « Je représente et je
défends D.ieu » et peut parfois aller plus loin que là où D.ieu aurait
été.
Il
y a d’ailleurs un enseignement de ’Hazal
dans la guemara à la fin de Sanhédrin qui va dans ce sens. La guemara se demande ce qui a causé cette
sécheresse et raconte qu’Eliahou et A’hav se sont rencontrés alors qu’ils
allaient réconforter ’Hiel l’endeuillé. ’Hiel venait en effet de perdre tous
ses enfants car il avait enfreint la malédiction que Yéhochoua’ avait prononcé
contre toute personne qui reconstruirait Yéri’ho. Voici le dialogue entre
Eliahou et A’hav (Sanhédrin
113a) :
אמר ליה השתא לווטתא
דמשה לא קא מקיימא דכתיב וסרתם ועבדתם וגו' וכתיב וחרה אף ה' בכם ועצר את השמים
וגו' וההוא גברא אוקים ליה עבודת כוכבים על כל תלם ותלם ולא שביק ליה מיטרא דמיזל
מיסגד ליה לווטתא דיהושע תלמידיה מקיימא מיד ויאמר אליהו התשבי מתושבי גלעד חי ה'
אלהי ישראל אם יהיה טל ומטר וגו'
A’hav dit à
Eliahou : « Comment cela se fait-il que la malédiction du Talmid, de
l’élève Yéhochoua’ se soit réalisée alors que celle de son Rav ne s’est pas
réalisée ? » En effet, il est écrit dans la Torah dans le passage de
« Véhaya Im Chamoa’ » qu’une malédiction de sécheresse frapperait les
Bnei Israël si ceux-ci s’adonnaient à l’idolâtrie. Or A’hav se vante d’avoir
développé la ’avoda zara dans son
royaume sans qu’aucune sécheresse ne se soit déclarée. Alors immédiatement
Eliahou déclare : « חַי-ה׳ אֱלֹקֵי יִשְׂרָאֵל אִם-יִהְיֶה טַל וּמָטָר »
- « Par le D.ieu vivant, divinité d'Israël! Il n'y aura ni pluie ni rosée ».
On peut d’ailleurs remarquer que la réaction d’Eliahou est en
phase avec sa conception des choses. C’est le mauvais comportement de ’Hiel qui
a déclenché sa malédiction. Le mot ’Hiel peut se lire « חי אל » - « Haï El » qui signifie
« dieu vivant » où dieu se réfère à n’importe quel dieu (« אל » signifie puissance, c’est un terme
générique). Alors Eliahou réagit et dit : « חַי-ה׳ אֱלֹקֵי » -
« Haï Hachem El… ». Il coupe le nom de ’Hiel en y introduisant le nom
de D.ieu qu’il porte dans son nom et qu’il défend.
Qu’est-ce qui serait arrivé si… ?
Ceci
m’amène à la question suivante : il est vrai qu’Eliahou a pris les devants
et a déclaré la sécheresse qui a bien eu lieu (donc Hachem l’a suivi). Mais que se serait-il passé si Eliahou
n’avait pas prononcé cette malédiction ?
Il
y a un midrash (Cho’her Tov § 63, 3) qui identifie
Eliahou et Pin’has (« פנחס הוא אליהו »).
Je ne sais pas trop ce que cela veut dire. Est-ce que c’est Pin’has qui a vécu longtemps ?
Est-ce qu’Eliahou est une réincarnation de Pin’has ? Peu m’importe. Disons
que la question à se poser, à la lecture de ce midrash est : d’où nos
sages savent-ils cela ? Comment sont-ils arrivés à cette
identification ?
Il
semblerait que ce midrash se base sur
une preuve textuelle qui lie Eliahou à Pin’has. En effet, Eliahou dira, (Melakhim I 19:10) : « קַנֹּא קִנֵּאתִי » - « J’ai été plein de zèle ». Ces mots sont
les mêmes – aux voyelles près – que ceux que la Torah emploie pour Pin’has au
sujet de son acte de bravoure (Bamidbar
25:11) « בְּקַנְאוֹ אֶת-קִנְאָתִי »
- « en ayant été plein de zèle pour Moi ».
Pin’has
est connu pour son zèle. Il y a eu une profanation du nom divin en public (’hiloul Hachem) : Zimri – un chef
de tribu – a eu une relation avec Kosbi, une Midianite. Selon la loi, Zimri
était-il passible de mort ? La réponse est que cela dépend… En effet,
Rachi (sur Bamidbar 25:7)
rapporte : « הבועל
ארמית - קנאים פוגעים בו »
- « celui qui s’accouple avec une Aramith – les zélotes le frappent à
mort ». Cela signifie que si une cours de justice l’avait jugé, Zimri
n’aurait pas été condamné à mort ! Par cet exemple, Pin’has nous montre
l’archétype du zélote – kanaï : un homme qui prend
des initiatives et Hachem le suit.
Et
il me semble que c’est le sens du midrash
que nous avons cité qui racontait une discussion entre A’hav et Eliahou. On y
voit bien une réaction d’Eliahou face à un mépris d’A’hav. Le kanaï qu’il est ne peut pas supporter un
tel affront, un tel manque de respect envers Hachem. On ne peut pas laisser
cette provocation sans réponse ! Voilà ce qui pousse Eliahou à réagir. Tout comme Pin’has, Eliahou est un kanaï[1].
L’histoire
peut alors prendre plusieurs chemins. Tout dépendra de si elle trouvera un kanaï sur son chemin. Si Pin’has n’avait
pas réagit avec son zèle, Zimri n’aurait pas été tué. De même, si Eliahou n’avait pas décrété la
sécheresse, il n’y en aurait pas eu …
Eliahou et Pin’has sont ce genre de personnes qui défendent
avec zèle l’honneur de D.ieu. Ce dernier ne peut donc faire autre chose que les
soutenir. Une image parlante est la suivante : votre père se fait insulter
en public et vous ne pouvez pas accepter cela. Vous vous interposez et prenez
la défense de votre père. Celui-ci se trouve derrière vous. Il ne peut que vous soutenir. Je crois
que c’est, en partie, le sens de ce midrash
(Mékhilta sur Chémot 12) qui dit : « אליהו תבע כובד
האב ולא כבוד הבן » -
« Eliahou a défendu l’honneur du père et pas l’honneur du fils ».
La
question que je pose maintenant est la suivante : comment Hachem
communique-t-il avec ce genre de personnes qui se lèvent pour Lui comme Pin’has
et Eliahou ? Voyons voir les prochains versets de l’histoire d’Eliahou.
Eliahou et les corbeaux
A
peine Eliahou avait-il promulgué cette malédiction de sécheresse qu’il lui
fallait se cacher. En effet, il était devenu l’ennemi public numéro 1 du roi
A’hav. Hachem l’envoie dans un endroit où personne ne pourra le trouver (Melakhim I 17:2-7) :
ב וַיְהִי דְבַר-ה׳,
אֵלָיו לֵאמֹר.
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2 Et la parole de D.ieu lui fut adressée en ces
termes:
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3 "Quitte ce lieu, dirige-toi vers l’Est et
cache-toi près du fleuve Kerite, qui fait face au Jourdain.
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4 Tu boiras de l’eau du fleuve, et j’ai ordonné aux
corbeaux de te nourrir."
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5 Il partit et, agit conformément à la parole de
D.ieu, il s’installa près du fleuve Kerite en face du Jourdain.
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6 Les corbeaux lui apportaient du pain et de la
viande le matin, du pain et de la viande le soir, et il buvait de l'eau du fleuve.
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7 Mais au bout de quelque temps le fleuve sécha,
car il n’y avait plus de pluie dans le pays.
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Ces quelques versets éveillent
en moi quelques questions.
Questions
1/ Intérêt
Tout
d’abord, quel est l’intérêt de cette histoire ? Elle ne concerne qu’Eliahou.
Elle n’a aucun impact sur la nation d’Israël, aucune conséquence politique… Pourquoi le Tanakh nous raconte-t-il cette histoire ? Qu’est-on censé
apprendre de cette histoire ?
2/ Eliahou et le reste du monde
Eliahou
vient de décréter la sécheresse. Donc tout le pays souffre de soif et sûrement
aussi de faim. Et pour Eliahou, comment ça se passe ? Il est plutôt bien
entretenu, non ? Les corbeaux lui amènent pain et viande le matin et le
soir, le fleuve lui offre de l’eau à souhait.
Nos sages disent (Sanhédrin)
d’ailleurs que les corbeaux piquaient le pain et la viande qu’ils amenaient à
Eliahou directement de la table du roi A’hav. Peut-être pour dire que ce
qu’Eliahou prenait était en moins pour le reste du peuple. Et puis, quand la
table du roi est vide, c’est que la situation est très grave…
Que se passe-t-il
ici ? Qu’est-ce que D.ieu cherche à
faire en agissant de la sorte ?
Les corbeaux
Parlons maintenant des
corbeaux. Je vois, dans ces corbeaux, trois niveaux de symbole qui vont nous
aider à comprendre cette histoire.
Symbole #1
Que sait-on des
corbeaux ? Quelles caractéristiques leur connaissons-nous, dans le Tanakh ? A tout le moins, nous
savons qu’ils ne nourrissent pas bien
leurs nourrissons. Nous le voyons par exemple dans Iyov (38:41) « מִי יָכִין לָעֹרֵב צֵידוֹ: כִּי-יְלָדָו, אֶל-אֵל יְשַׁוֵּעוּ;
יִתְעוּ, לִבְלִי-אֹכֶל» -
« Qui préparera la nourriture du corbeau, alors que ses petits crient vers
D.ieu et errent sans nourriture ? » ou encore dans Téhilim (147:9) « נוֹתֵן
לִבְהֵמָה לַחְמָהּ; לִבְנֵי עֹרֵב, אֲשֶׁר יִקְרָאוּ »
- « Il donne à la bête sa nourriture ; ainsi qu’aux petits du corbeau
qui réclament ».
Bref, le corbeau, au
lieu de s’occuper de ses petits, amène de la nourriture à profusion à Eliahou.
C’est-à-dire qu’au lieu de nourrir les enfants (i.e. les Bnei Israël), c’est aux
besoins d’Eliahou qu’on pourvoit…
Symbole #2
Il y a une autre
histoire avec des corbeaux dans le Tanakh.
Il s’agit d’une histoire,
comme ici :
-
Avec des corbeaux
-
Qui vont et qui viennent
-
Ils vont et viennent jusqu’à que l’eau sèche
-
Où il y a l’expression « וַיְהִי מִקֵּץ יָמִים »
Je pense que vous
l’avez deviné, il s’agit de Noa’h qui a envoyé le corbeau (Béréchit 8:6-7) :
ו וַיְהִי, מִקֵּץ אַרְבָּעִים
יוֹם; וַיִּפְתַּח נֹחַ, אֶת-חַלּוֹן הַתֵּבָה אֲשֶׁר עָשָׂה.
|
6
Au bout de quarante jours, Noa’h ouvrit la fenêtre de l’arche qu'il avait fabriquée.
|
ז וַיְשַׁלַּח, אֶת-הָעֹרֵב; וַיֵּצֵא יָצוֹא וָשׁוֹב, עַד-יְבֹשֶׁת הַמַּיִם מֵעַל
הָאָרֶץ.
|
7
Il envoya le corbeau, qui allait et revenait jusqu'à ce que les eaux eussent séché
sur la terre.
|
Il semblerait que nos
sages aient aussi fait ce lien. Rachi sur Béréchit
8:7 amène le midrash suivant (Béréchit Rabba 33:5):
מוכן היה העורב לשליחות
אחרת בעצירת גשמים בימי אליהו, שנאמר והעורבים מביאים לו לחם ובשר
|
Le corbeau [allait et revenait dans le monde] comme
ayant été mis en réserve pour une autre mission lors d’un autre assèchement
des eaux, à l’époque d’Eliahou, ainsi qu’il est écrit : « les corbeaux lui
apportaient du pain et de la viande ».
|
Qu’est-ce que cela
signifie pour vous ? Ou, de manière
plus globale, qu’est-ce qui, dans l’histoire de Noa’h, est similaire à celle
d’Eliahou?
Il s’agit dans les deux
cas (Noa’h et Eliahou) de destructions.
Mais ces destructions sont en miroir l’une
de l’autre : dans un cas, il y a trop d’eau, dans l’autre, il n’y en a pas
assez. A chaque fois, il y a une
personne et un endroit qui sont sains et saufs. Noa’h et sa famille sont en
sécurité dans l’arche. Eliahou est protégé de la sécheresse au fleuve Kerite.
D’ailleurs, que
signifie Kerite ? Etrange nom pour un fleuve…
-
Kerite (כְּרִית) est de la même racine que le mot « כרת » – « retranchement ». Cela signifie peut-être
qu’Eliahou est ainsi séparé du reste du
monde qui souffre de la sécheresse. Il est dans son arche…
-
Mais le terme Kerite (כְּרִית) est également souvent
employé lorsqu’on scelle une alliance, on dit : « כורת ברית » - « sceller
une alliance » (par exemple Chémot
34:10). Eliahou défend fermement une alliance,
celle de Véhaya Im Chamoa’ ;
tandis que Hahem met en place une alliance avec les Hommes, celle de
l’Arc-en-Ciel. D’ailleurs, lors de cette alliance, Hachem emploie aussi le terme
« כְּרִית » : (Béréchit
9:11) « וְלֹא-יִכָּרֵת ».
Nous avons à faire,
finalement, à deux alliances opposées. D’un côté celle de Véhaya Im Chamoa’ qui prévoit la sécheresse (et donc la
destruction) des hommes qui s’adonneront à la ’avoda zara. Et d’un autre côté, nous avons l’alliance de l’Arc-en-Ciel
qui espère qu’il n’y aura plus besoin de tuer des Hommes (Béréchit 9:11) « וְלֹא-יִכָּרֵת
כָּל-בָּשָׂר עוֹד » - « et il n’y
aura plus de chair détruite » par les eaux du déluge.
Quel message Hachem cherche-t-il à envoyer à Eliahou avec
ces corbeaux qui rappellent Noa’h ?
Il y a encore une
différence entre Noa’h et Eliahou. En effet, qui déclare la catastrophe à
venir ? Pour le déluge de Noa’h, c’était Hachem ; tandis que pour la
sécheresse, c’est Eliahou lui-même. C’est bizarre, c’est comme si Eliahou se mettait à la place de D.ieu, ici.
Qu’est-ce qui se passe dans ces cas là ? C’est cette question qui nous
amène au troisième niveau de symbole des corbeaux.
Symbole #3
Tout cela a peut-être à
voir avec son nom, à Eliahou. Nous avons déjà expliqué comment le nom
« Eliahou » pouvait expliquer son comportement. Mais Eliahou possède
un nom composé dans notre histoire, il s’appelle « אֵלִיָּהוּ הַתִּשְׁבִּי מִתֹּשָׁבֵי גִלְעָד » - « Eliahou le Tishbi, des habitants de
Guil’ad ».
Le Ba’al Hatourim sur Béréchit 8:7 fait remarquer la chose
suivante. Le verset dit, à propos du corbeau de Noa’h, qu’il allait et revenait
jusqu’à « יְבֹשֶׁת הַמַּיִם » ce que l’eau ait séché. Or « יְבֹשֶׁת »
et « תִּשְׁבִּי » sont formés des mêmes lettres. De plus, dit-il, le mot « יְבֹושֶׁת » possède la même guematria (valeur numérique) que le mot
« נַחַל כְּרִית ».
Bref, son nom
« Tishbi » nous renvoie aussi à Noa’h et à son corbeau.
Arrêtons-nous
maintenant à la troisième partie du nom d’Eliahou. Pourquoi est-ce tellement important de nous dire qu’il venait de
Guil’ad ? C’est ce que nous allons voir maintenant et qui va
développer ce troisième niveau de symbole.
Eliahou le Guil’adi
J’aimerais
vous amener avec moi au premier « גִלְעָד » -
« Guil’ad » de la Torah. Là-bas, il s’écrit avec d’autres voyelles,
il s’agit aussi d’une alliance… c’est l’histoire de l’alliance de
« Gal’ed » - « גַּלְעֵד »
racontée dans Béréchit 31. L’alliance
de Gal’ed est peut-être la pire des alliances de la Torah. Elle va causer des
problèmes à Ya’akov.
Je
me demande si cette alliance entre Ya’akov et Lavan ne jette pas une lumière
sur la mission, le rôle d’Eliahou et ce qui lui arrive dans cette histoire des
corbeaux…
Que s’est-il passé à Gal’ed ?
Les faits
Ya’akov
s’enfuit de chez Lavan avec femmes et enfants. Mais Lavan le pourchasse et le
rattrape. Il est furieux, il lui demande pourquoi il s’est enfuit de chez lui.
Il lui dit (Béréchit 31:30) :
« Si tu veux rentrer chez ton père parce qu’il te manque, je n’ai aucun
problème avec cela, mais pourquoi as-tu volé mes idoles ? ».
En
effet, (Béréchit 31:19) « וַתִּגְנֹב
רָחֵל, אֶת-הַתְּרָפִים אֲשֶׁר לְאָבִיהָ » - « Ra’hel avait volé les idoles de son
pères ». Elle ne voulait pas que son père fasse de la ’avoda zara[2].
Ya’akov,
ne sachant pas que Ra’hel avait volé les idoles de son père, accepte que Lavan
fasse une recherche dans ses affaires afin de voir s’il ne trouve pas ses
idoles et il va dire une phrase malheureuse (Béréchit 31:32) : « עִם אֲשֶׁר תִּמְצָא
אֶת-אֱלֹהֶיךָ, לֹא יִחְיֶה »
- « Celui chez qui tu trouveras tes dieux, qu’il cesse de vivre ! ».
Lavan
ne trouve rien, Ya’akov s’énerve (nous reviendrons sur les mots qu’il emploie)
et ils scellent une alliance : Gal’ed. Puis ils s’installent pour manger
du pain.
Le Midrash et l’iceberg
Ya’akov
ne savait pas que Ra’hel avait volé les idoles de son père. Malheureusement,
les paroles des Justes finissent toujours par se concrétiser.
Nos
sages[3] disent que c’est à cause
de cela que Ra’hel est morte jeune, avant son temps, en accouchant de Binyamin
alors qu’ils étaient en voyage : « ומאותה קללה מתה רחל בדרך ».
On
pourrait s’arrêter là dans la compréhension de ce midrash car, en effet, il arrive que les sages du Midrash disent tout ce qu’ils pensent.
Mais il arrive aussi qu’ils ne nous montrent que la partie apparente de
l’iceberg. A nous alors d’en découvrir la partie cachée… Et je crois que c’est
le cas de notre midrash.
Qu’est-ce que cela
signifie, pour Ya’akov, de « perdre Ra’hel » ? Peut-être que
cela signifie de « perdre Ra’hel entièrement », c’est-à-dire « perdre Ra’hel et ses
enfants » ?
La question que l’on va
se poser maintenant est : de même qu’il y avait une prémonition de la mort
de Ra’hel lors de l’alliance de Gal’ed, y-a-t-il aussi des prémonitions des
pertes de ses enfants (Yossef et Binyamin) ?
La perte de Yossef…
Ya’akov
pensait avoir perdu Yossef lorsqu’il a été vendu. Voyons si la vente de Yossef
trouve des échos dans l’épisode de Gal’ed.
Si
on lit attentivement l’histoire de Gal’ed, on trouvera des liens textuels avec
la vente de Yossef. Voici quelques exemples[4] :
Gal’ed
|
Vente de Yossef
|
|
Juxtaposition des verbes « Motsé »
- trouver et « Haker » -
reconnaître
|
Ya’akov dit (Béréchit
31:32) : « עִם אֲשֶׁר תִּמְצָא
אֶת-אֱלֹהֶיךָ, לֹא יִחְיֶה--נֶגֶד אַחֵינוּ הַכֶּר-לְךָ מָה עִמָּדִי, וְקַח-לָךְ » - « Celui chez qui tu trouveras tes dieux, qu’il
cesse de vivre ! – En présence de nos frères reconnais ce qui est à toi et prends-le »
|
Les frères de Yossef présentent la tunique ensanglantée à leur père et
disent (Béréchit 37:): « זֹאת מָצָאנוּ:
הַכֶּר-נָא, הַכְּתֹנֶת בִּנְךָ הִוא--אִם-לֹא »
- « Voici ce que nous avons trouvé, reconnais
s’il te plait si c’est celle de ton fils »
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Les frères
mangent du pain
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Acte final qui scelle l’alliance, Ya’akov appelle ses fils pour manger (Béréchit 31:54) « וַיִּקְרָא
לְאֶחָיו לֶאֱכָל-לָחֶם » - « Il a appelé ses frères pour manger du pain »
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En attendant de décider ce qu’ils allaient faire de Yossef (Béréchit
37:25) « וַיֵּשְׁבוּ,
לֶאֱכָל-לֶחֶם » - « ils s’installèrent pour manger du pain »
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Fraternité[5]
(a’h)
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Bizarrement, Ya’akov, en parlant de ses fils, utilise la terminologie de
« frère ». Voir par exemple les deux pssoukim rapportés ci-dessus.
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La notion de frère est omniprésente dans la vente de Yossef. Le mot a’h – frère apparaît quatorze fois
dans l’histoire de la Vente de Yossef (Béréchit
37).
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Gil’ad/Gal’ed
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L’alliance scellée, s’appelle « Gal’ed » - « גַּלְעֵד »
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Les Yichmé’élim qui ont vendu Yossef venaient de… « גִלְעָד » - « Guil’ad » (Béréchit 37:25)
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Il apparaît que la
perte/vente de Yossef était déjà présente dans l’histoire de Gal’ed qui était
donc une sorte de prémonition, non seulement de la perte de Ra’hel pour
Ya’akov, mais aussi de son fils Yossef. Qu’en-est-il de Binyamin ?
La perte de Binyamin ?
Nous
connaissons la fin de l’histoire : Binyamin n’a jamais été perdu pour son
père. Mais il a failli l’être, n’est-ce pas, lorsque Yossef l’a piégé en
mettant sa coupe en or dans le sac de Binyamin. Regardons cet épisode (Béréchit 44) et notons ce qui nous
rappelle Gal’ed.
Voici
quelques exemples de similitudes :
Yossef et Binyamin
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Gal’ed
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Des gens partent en expédition
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Les frères s’en vont de chez Yossef avec toutes leurs affaires. Ils
rentrent chez leur père.
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Ya’akov s’en va de chez Lavan avec toutes ses affaires. Il rentre chez
son père.
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Ils sont pourchassés et rattrapés
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Les frères sont pourchassés par les envoyés de Yossef. Ils sont
rattrapés.
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Ya’akov est pourchassé par Lavan. Il est rattrapé.
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On les accuse de vol
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On accuse les frères d’avoir volé la coupe de Yossef.
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On accuse Ya’akov d’avoir volé les statues de Lavan
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L’objet « volé » est « magique »
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La coupe de Yossef lui sert à faire de la sorcellerie.
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Les idoles de Lavan lui servent, on peut le supposer, à faire de la
sorcellerie.
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Arrêtons-nous quelques
instants. Qu’est-ce que Yossef essaye de faire ici ? On a bien
l’impression qu’il rejoue le rôle de Lavan, non ?
Quelle Ironie !
Yossef tente de terminer le travail commencé par Lavan. Il ne reste plus que
Binyamin à faire perdre à son père. Et c’est Yossef qui s’en charge[6]…
Et là, que se
passe-t-il ?
Yéhouda, ne sachant pas
que la coupe est chez Binyamin, s’avance et dit (Béréchit 44:9) : « אֲשֶׁר יִמָּצֵא אִתּוֹ
מֵעֲבָדֶיךָ, וָמֵת » - « Celui chez
qui l’objet sera trouvé parmi tes serviteurs, qu’il meurt ! ».
Cela ne vous
rappelle-t-il rien ?
C’est incroyablement
ressemblant à ce qu’avait dit Ya’akov, lui non plus, ne sachant pas que les
idoles étaient chez Ra’hal, (Béréchit
31:32) : « עִם אֲשֶׁר תִּמְצָא אֶת-אֱלֹהֶיךָ, לֹא יִחְיֶה » - « Celui chez qui tu trouveras tes dieux,
qu’il cesse de vivre ! »
Et
voilà, Binyamin est sur le point d’être perdu… Le malheur annoncé à Gal’ed est
quasiment complet : Ra’hel est parti, Yossef est parti, et Binymin et sur
le point de partir aussi…mais il ne partira pas !
Tout
était bien ficelé par Yossef. Ne croyez pas qu’il attendait le meilleur moment
pour se dévoiler à ses frères. Il n’en avait nullement l’intention. Il a été
rejeté de la famille et l’a accepté. Même au dernier moment, le texte nous dit
(Béréchit 45:1) « וְלֹא-יָכֹל
יוֹסֵף לְהִתְאַפֵּק » -
« Yossef ne put se contenir ». Par déduction, on comprend que Yossef
ne voulait pas se dévoiler à ses frères ! Il s’était fait à l’idée de
vivre en Egypte. Il continuait à croire en D.ieu et voulait récupérer son frère
Binyamin.
Mais
un grain de sable est venu s’introduire dans les plans de Yossef. Ce
« grain », ou plutôt, cette personne, c’est Yéhouda.
C’est
Yéhouda qui, dans un discours de la dernière chance (Béréchit 44:18-34) essaye de convaincre ce prince égyptien qu’est
Yossef. Il dit entre autres : « Mon père a eu deux femmes et il
en a préféré une. Et ce jeune homme, Binyamin, est le fils de cette femme
préférée. C’est pour cela que mon père est très proche de lui, à tel point que « נַפְשׁוֹ,
קְשׁוּרָה בְנַפְשׁוֹ » - « son âme est
attachée à son âme ». Et moi, je suis le fils de l’autre femme. C’est pour
cela que mon père préfère voir Binyamin rentrer plutôt que moi. Et puis je ne
peux pas le laisser parce que je me suis engagé vis-à-vis de mon père, je lui
ai dit « אָנֹכִי, אֶעֶרְבֶנּוּ »,
je me suis porté garant pour Binyamin - « כִּי עַבְדְּךָ עָרַב
אֶת-הַנַּעַר ». Comment pourrais-je alors
supporter la douleur de mon père s’il ne retrouve pas son enfant ? »
Et
là, Yossef craque et se dévoile (Béréchit 45:1)
« וְלֹא-יָכֹל יוֹסֵף לְהִתְאַפֵּק » - « Yossef ne put se contenir ». Tout le plan
de Lavan tombe à l’eau. Ya’akov ne perdra finalement pas Binyamin et récupèrera
Yossef.
Pourquoi
Yossef a-t-il craqué ?
Parce
qu’il a vu l’engagement personnel de Yéhouda pour son frère Binyamin. Parce que
Yéhouda s’est nommé garant – ’orev
pour son petit frère…
Revenons
maintenant à Eliahou.
Eliahou le Guil’adi
Est-ce
qu’Eliahou le Guil’adi aurait un lien avec les racines de l’alliance de
Gal’ed ?
On
a vu que ’Hazal disent qu’à cause de
Gal’ed, Ya’akov allait perdre Ra’hel. On a vu, preuves textuelles à l’appui,
qu’il ne s’agissait pas seulement de Ra’hel mais aussi de ses enfants. Yéhouda,
en son temps, à réussi à contrecarrer les plans de Lavan. Mais Lavan peut-il encore
gagner ?
Lavan peut-il encore gagner ?
A
l’époque d’Eliahou, Lavan peut encore gagner. En effet, Eliahou est le prophète
du Nord, la région d’Ephraïm – descendants de Yossef. Par conséquent, qui est
susceptible de mourir avec cette sécheresse décrétée par Eliahou ? C’est le
royaume de Yossef !
Eliahou
est en train de reprendre le plan de Lavan…
Alors
D.ieu lui envoie des corbeaux pour lui amener à manger. Comment dit-on
« corbeau » en hébreu ? On appelle cela un « ’orev ».
Le
mot « ’orev » a un double
sens car il signifie aussi : garantie, celle de Yéhouda par exemple.
En
lui envoyant des corbeaux, Hachem rappelle que la dernière fois que les plans
de Lavan ont été déjoués, cela n’a pu arriver que grâce au ’orev qu’a été Yéhouda
Mais
au fait, d’où vient le mot ’orev ?
Le ’orev et son contraire
Le mot ’orev est de la même racine que le mot ’erouv tavshilin par exemple. Cela
signifie « être mélangé avec ». Quel rapport avec la notion de
garantie que ce mot représente aussi ?
Eh bien, c’est exactement
la même chose. Un ’orev est quelqu’un
qui se mélange…
Prenons un exemple : une personne A emprunte de l’argent à une
personne B. Cette transaction ne concerne qu’eux deux. Toute autre personne
dans le monde n’a aucun rapport avec ce prêt et ne peut pas y intervenir…
…Sauf si quelqu’un vient « se mélanger » dans cette transaction
afin de prendre la place de l’emprunteur. Il s’agit du garant.
Le garant s’introduit dans une affaire qui ne le regarde pas et, ce faisant,
change la dynamique de la transaction car maintenant, lui aussi est
responsable.
Mais il y a une autre
moyen de se mélanger, d’être un ’orev…
Prenons toujours le même exemple du prêt. Le garant classique est
celui qui vient s’engager au côté de l’emprunteur. Mais il se pourrait aussi
qu’une personne vienne se mélanger à cette affaire mais du côté du prêteur. Son
rôle sera de garantir que le prêt soit remboursé. Ce garant aussi change la
dynamique de la transaction.
Mais ce type de garant ne se tient pas aux côtés du fils, mais plutôt aux
côtés du père. C’est ce type de garant que l’on appelle … kanaï.
Conclusion
Il
y a une alliance, un contrat entre les Bnei Israël et Hachem et personne
d’autre. Et pourtant Eliahou s’y introduit, en se mélangeant. Il défend la
position de Hachem.
Eliahou
arrive, sans présentation et se rend pertinent dans le cadre de ce contrat.
C’est même comme cela qu’il s’introduit ; c’est cela sa personnalité.
Eliahou est un kanaï.
En
lui envoyant les corbeaux, Hachem tente de lui envoyer un message. Peut-être
que Hachem n’est pas tout à fait d’accord avec la position d’Eliahou dans cette
histoire. Un peu comme s’Il lui disait :
« Eliahou, tu veux être Mon ’orev, celui qui vient à Ma place, pour défendre Mes intérêts. Mais
j’aurais plutôt besoin de toi dans une position classique de ’orev qui vient défendre et se porter
garant pour mes enfants.
Si tu gagnes, en défendant l’alliance de Véhaya Im Chamoa’, et que tout le royaume de Yossef meurt, alors
qui sera le vrai vainqueur ? Ce sera Lavan ! Finalement, tu auras
défendu l’alliance de Gal’ed, toi, qui vient de Guil’ad.
Réfléchis Eliahou. Quel genre de ’orev souhaites-tu être ? Il n’y a qu’un seul ’orev qui a déjà réussi à contrecarrer
les plans de Lavan. C’était Yéhouda, et lui était le ’orev du fils. »
Voilà peut-être un message de Hachem à
Eliahou ; Un écho de l’acte héroïque de Yéhouda des siècles plus tard dans
la vie d’Eliahou[7].
Le cours original est disponible sur internet à l'adresse suivante:
http://www.yutorah.org/lectures/lecture.cfm/767257/Rabbi_David_Fohrman/Yehuda_Encounters_Yosef_The_Legacy_of_Parshat_Vayigash_in_Tanach_and_what_it_means_to_us
[1]
Et si vous me dites qu’il y a une différence entre Pin’has et Eliahou, c’est
qu’Eliahou n’a fait "que" promulguer une malédiction déjà écrite dans
la Torah (dans le passage de Véhaya Im
Chamo’ou) ? Alors je vous répondrai : « Soyez sérieux !
Sur combien de critères Hachem peut-il jouer pour accomplir, ou pas, cette
malédiction ? Par exemple : après combien de temps de ’avoda zara la malédiction devra-t-elle
s’abattre ? Sur quelle étendue de territoire ? Pendant combien de
temps ? Si quel pourcentage de juifs sur quelle portion de territoire
servent la ’avoda zara ? Etc.
Toutes ces questions s’arrêtent net s’il y a Eliahou dans les parages… »
[2]
Ra’hel a un comportement similaire à celui d’Eliahou qui, lui non plus, ne
voulait pas que les juifs s’adonnent à la ’avoda
zara.
[3]
Rapporté par Rachi sur Béréchit 31:32.
[4]
Cherchez et vous en trouverez de nombreux autres.
[5]
N.d.T – cet élément n’a pas été mentionné par Rav Fohrman. Je me permets de le
rajouter.
[6]
Maintenant que l’on a montré que les paroles de Ya’akov ont eu un impact sur
les « pertes » de Ra’hel, Yossef et Binyamin, je vous propose de relire
l’épisode de Gal’ed et vous verrez un nombre incroyables d’échos à ces « pertes ».
Par exemple : (31:39) « טְרֵפָה, לֹא-הֵבֵאתִי אֵלֶיךָ » rappelle les mots qu’il dira des
années plus tard « טָרֹף טֹרַף, יוֹסֵף ».
Autre exemple : (31:39) « אָנֹכִי אֲחַטֶּנָּה, מִיָּדִי תְּבַקְשֶׁנָּה » sont quasiment les mêmes mots qu’il
s’entendra dire par Yéhouda : (43:9) « אָנֹכִי,
אֶעֶרְבֶנּוּ--מִיָּדִי, תְּבַקְשֶׁנּוּ »
[7]
N.d.T – Je crois que les parallèles avec le corbeau de Noa’h ont une
signification qui va dans le même sens. Le reproche que l’on fait à Noa’h est
de ne pas avoir été capable de défendre ou de faire faire téchouva (et donc sauver) les gens de sa génération. Au contraire
de Moché, par exemple, qui a défendu avec succès le peuple d’Israël. Il y a
peut-être une once de reproche envers Eliahou ici : « Serais-tu
un nouveau Noa’h, incapable de prendre la défense de ton peuple au lieu de les
maudire ? Ne voudrais-tu pas être leur ’orev ? ».
Il
en va de même pour le premier niveau de symbole du corbeau : il est cruel
avec ses propres enfants. Là aussi, il y a un reproche à Eliahou qui pourrait
s’inquiéter du sort de ses frères qui meurent de soif… En lui envoyant les
corbeaux, D.ieu dit en quelques sortes à Eliahou : « C’est bien de
vouloir défendre mes droits, mais cela doit-il se faire aux dépends de mes
enfants, des Juifs ? ».
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