J’ai
déjà traité ce sujet dans une autre série intitulée « De peur d’en arriver
au scandale ». Cependant, même si le contenu sera ici sensiblement le
même, je vais présenter les choses différemment, dans le contexte plus grand de
l’histoire de la vente de Yossef.
J’aimerais
dès à présent rappeler notre manière de questionner le texte. En effet, si je
vous demande : « Qu’est-ce qui vous dérange dans l’histoire de
Yéhouda et Tamar ? Quelle est la grosse question que vous avez sur
cette histoire ? », certains me diraient que c’est une histoire
étrange où le comportement de Yéhouda – par ailleurs personnage important du
Judaïsme – semble manquer de morale : comment est-ce possible qu’il se
soit laissé tenter par cette idée terrible d’aller avec ce qu’il pensait être
une prostituée ?
Je
ne pense pas que ce soit une question centrale dans cette histoire.
The Question
En
effet, les questions de ce type ne sont « que » des questions
« externes ». Ce sont en fait des questions qui naissent d’une
incompatibilité entre votre vision de la « morale » et le récit de la
Torah ; mais la Torah elle-même n’est pas dérangée par ces
problèmes ! Ce sont des questions « externes » au texte. Les
questions les plus intéressantes et les plus dérangeantes sont celles que le
texte lui-même nous suggère, c’est ce que j’appelle les questions
« internes ».
Prenons
par exemple l’histoire de Yona. Certaines personnes se demanderont :
« comment est-ce possible que Yona ait pu survivre sans boire ni manger
pendant trois jours lorsqu’il était dans le ventre de la baleine ? ».
Cette question est une véritable question externe. Car le texte n’a pas l’air
étonné par cela. Et puis, lorsque je lis un livre des prophètes, je dois
m’attendre à ce qu’il y ait des miracles, je dois m’introduire dans le livre
que j’étudie et oublier ma vision d’un homme du 21ème siècle !
C’est exactement comme si je lisais un livre de médecine en pensant qu’il
s’agit d’un livre de poésie : non seulement je risque d’être déçu mais je
ne poserais sûrement pas les bonnes questions !
L’histoire
de la ’Akeida souffre du même syndrome. En effet, certains se demanderont
« comme est-ce possible qu’Avraham ait accepté de sacrifier son
fils ? C’est immoral !». Et pourtant, le texte de la Torah n’a
pas l’air embêté par ce comportement d’Avraham. Au contraire ! Car lorsque
l’ange s’adresse à Avraham alors qu’il est prêt à sacrifier son fils, il lui
dit (Béréchit 22:12): « désormais,
j'ai constaté que tu honores/crains D.ieu » - « עַתָּה יָדַעְתִּי, כִּי-יְרֵא אֱלֹקים אַתָּה ».
Bref,
nous sommes à la recherche d’une question interne au sujet de cette histoire de
Yéhouda et Tamar. Alors, quelle est la
grosse question que le texte veut que nous nous posions en lisant cette
histoire ?
La grosse question
textuelle sur l’histoire de Yéhouda et Tamar est : qu’est-ce qu’elle fait là ? Cette histoire interrompt
complètement l’histoire de Yossef qui remplit toute la fin du livre de Béréchit. Seule cette histoire, qui se
trouve au chapitre 38, ne parle aucunement de Yossef.
Ce chapitre relate un
petit passage de la vie de Yéhouda, personnage secondaire dans Béréchit, qui réapparaîtra plus tard,
dans Vayigach. Pourquoi la Torah
prend-elle le temps de raconter ce passage ? Après tout, chacun des frères
a eu sa vie. Est-ce parce que c’est un épisode un peu scandaleux de la vie de
Yéhouda que la Torah trouve le besoin de le mentionner ? Pourquoi a-t-on
besoin de savoir ce qui se déroule au chapitre 38 ?
La question peut aussi
être reformulée ainsi : « quel
est le lien entre cette histoire et celle de Yossef ? Et pourquoi
suit-elle l’épisode de la vente de Yossef ? ».
La théorie de Rachi
Rachi s’est posé la
même question que nous, à savoir : « quel est le lien entre le
chapitre 38 et celui qui le précède ? ». Il donne une réponse qui, à
première vue, ne répond pas à la question. Je pense pourtant qu’il s’agit d’une
réponse très profonde, et comme toute chose profonde, tant qu’on ne la pas
comprise, elle nous paraît stupide et très superficielle.
Approche de Rachi en questions
Voici
le premier verset de l’histoire de Yéhouda et Tamar (Béréchit 38:1) :
א וַיְהִי בָּעֵת הַהִוא,
וַיֵּרֶד יְהוּדָה מֵאֵת אֶחָיו; וַיֵּט עַד-אִישׁ עֲדֻלָּמִי, וּשְׁמוֹ
חִירָה.
|
1 Il arriva, en ce temps là, que Juda descendit
de ses frères et s'achemina vers un
habitant Adoullami, nommé ’Hira.
|
Sur
ce verset, Rachi réagit sur le terme « וַיֵּרֶד » et a l’air de faire
un jeu de mots en employant le terme « שהורידוהו » :
(א) ויהי בעת
ההוא - למה נסמכה פרשה זו
לכאן, והפסיק בפרשתו של יוסף?
ללמד שהורידוהו
אחיו מגדולתו כשראו בצרת אביהם. אמרו: אתה אמרת למכרו, אילו אמרת להשיבו היינו שומעים לך:
|
Ce fut, en ce temps-là Pourquoi ce récit figure-t-il
ici et interrompt-il l’histoire de Yossef ? C’est pour nous apprendre que les
frères de Yéhouda ont rabaissé celui-ci de sa dignité lorsqu’ils ont vu la
souffrance de leur père, [d’où les mots : « Yéhouda descendit [dans leur
estime] »). Ils lui ont dit : « C’est toi qui nous as dit de le vendre ! Si
tu nous avais conseillé de le ramener à la maison, nous t’aurions écouté ! »
|
Je
vous invite à vous arrêter quelques instants sur ce commentaire de Rachi. Quels
sont les questions qu’il soulève selon vous ? Voici celles qui m’ont
frappé :
Question #1 :
Disons
que la théorie de Rachi soit vraie. En expliquant la descente politique de
Yéhouda, il n’explique qu’un seul mot de
tout le chapitre 38 ! Comment le seul terme « וַיֵּרֶד » peut-il
expliquer la présence de tout le chapitre 38 au milieu de l’histoire de
Yossef ?
Dans
ce cas, l’histoire de Yéhouda et Tamar n’aurait pas dû être plus longue qu’un
verset ! Comment Rachi peut-il penser que tout peut être expliqué par un
seul mot ?
Question #2 :
Comment
montrer que cette théorie de Rachi est vraie ? Comment peut-il justifier
que les frères, dès ce moment-là, auraient déjà exprimé un quelconque regret au
sujet de la vente de Yossef ?
Car
en effet, dans le texte de la Torah, la première fois que les frères
considèrent la vente comme un mauvais épisode arrivera bien plus tard, alors
que Yossef sera déjà à la tête de l’Egypte (Béréchit
42:21):
כא וַיֹּאמְרוּ
אִישׁ אֶל-אָחִיו, אֲבָל אֲשֵׁמִים אֲנַחְנוּ עַל-אָחִינוּ, אֲשֶׁר
רָאִינוּ צָרַת נַפְשׁוֹ בְּהִתְחַנְנוֹ אֵלֵינוּ,
וְלֹא שָׁמָעְנוּ; עַל-כֵּן בָּאָה אֵלֵינוּ, הַצָּרָה הַזֹּאת.
|
21 Et ils se dirent l’un à
l’autre: "Nous sommes punis à cause de notre frère; dont nous avons vu le
désespoir lorsqu’il nous criait de grâce et nous sommes restés sourds. Voilà
pourquoi ce malheur nous arrive."
|
D’où
Rachi voit-il que les frères regrettent la vente dès à présent ?
Question #3 :
Et
puis, de toutes les façons, cet argument à l’air bizarre. Les frères de Yossef
sont des personnes intelligentes, la tête sur les épaules. N’auraient-ils pas
pu penser à cela avant ? Il est quand même prévisible que Ya’akov allait
être triste lorsque Yossef, son fils chéri, allait disparaître !
Question #4 :
Enfin,
comment Rachi sait-il que les frères auraient aveuglément écouté Yéhouda s’il
avait changé d’avis ?
En
réalité, ce que Rachi dit peut devenir évident si l’on fait attention au texte
de la Torah à peine quelques versets auparavant (fin du chapitre 37 qui traite
de la vente de Yossef).
Les sources de Rachi
Rappelez-vous,
le plan d’origine des frères est de tuer Yossef. Ils disent (Béréchit 37:20):
כ וְעַתָּה
לְכוּ וְנַהַרְגֵהוּ, וְנַשְׁלִכֵהוּ בְּאַחַד
הַבֹּרוֹת, וְאָמַרְנוּ, חַיָּה רָעָה אֲכָלָתְהוּ; וְנִרְאֶה, מַה-יִּהְיוּ
חֲלֹמֹתָיו.
|
20 Or çà, venez, tuons le,
jetons le dans quelque puits, puis nous dirons qu'une bête féroce l'a dévoré.
Nous verrons alors ce qui adviendra de ses rêves!"
|
Et
là on va assister à deux réactions parmi les leaders des frères, celle de
Réouven, puis celle de Yéhouda. Ainsi, Réouven prend la parole et dit (Béréchit 37:22):
כב וַיֹּאמֶר
אֲלֵהֶם רְאוּבֵן, אַל-תִּשְׁפְּכוּ-דָם--הַשְׁלִיכוּ אֹתוֹ
אֶל-הַבּוֹר הַזֶּה אֲשֶׁר בַּמִּדְבָּר, וְיָד
אַל-תִּשְׁלְחוּ-בוֹ: לְמַעַן, הַצִּיל אֹתוֹ מִיָּדָם,
לַהֲשִׁיבוֹ, אֶל-אָבִיו.
|
22 Réouven leur dit donc:
"Ne versez point le sang! Jetez le dans ce puits qui est dans le désert,
mais ne portez point la main sur lui." C'était pour le sauver de leurs
mains et le ramener à son père.
|
Posons-nous la
question suivante : Réouven
a-t-il un comportement de leader ?
D’un côté, on pourrait
dire que oui, car il essaie de faire quelque chose pour sauver la situation.
Mais d’un autre côté, il sent qu’il n’a pas assez de cran pour se lever et dire
fermement : « C’est mal de faire ça ! », alors qu’il le
pense. Il détourne en fait leur
attention en leur proposant de jeter Yossef dans le puits, se laissant
ainsi la possibilité d’aller le récupérer plus tard.
C’est ensuite au tour
de Yéhouda de prendre la parole et de convaincre ses frères de ne pas tuer
Yossef car, dit-il : (Béréchit
37:26-27) :
כו וַיֹּאמֶר
יְהוּדָה, אֶל-אֶחָיו: מַה-בֶּצַע, כִּי נַהֲרֹג אֶת-אָחִינוּ,
וְכִסִּינוּ, אֶת-דָּמוֹ.
|
26 Yéhouda dit à ses
frères: "Quel avantage, si nous tuons notre frère et si nous scellons sa
mort?
|
27 Venez, vendons le aux
Ismaélites et que notre main ne soit pas sur lui, car il est notre frère,
notre chair!" Et ses frères consentirent.
|
On constate que Yéhouda fait changer complètement de position
le groupe de personnes, ses frères, qui sont en face de lui, là où Réouven a
échoué. En effet, quelle différence entre tuer quelqu’un, et le laisser mourir
de faim au fond d’un puits ? Pas grand-chose. Alors qu’il y a, oui, une
différence fondamentale, entre tuer quelqu’un, et le vendre en esclave.
Que dit en fait
Yéhouda quand il dit : « כִּי-אָחִינוּ בְשָׂרֵנוּ, הוּא », « car il est notre frère, notre chair! », il
donne ici un argument d’ordre moral : après tout, on ne peut pas tuer
notre frère ; on peut le haïr, mais pas le tuer.
Et quelle est la
réaction des frères ? Ils disent : OK ! « וַיִּשְׁמְעוּ,
אֶחָיו », « Et ses frères
consentirent ». Le verbe
écouter, « שמע », peut avoir trois degrés de
signification : écouter, comprendre, et accepter, du plus superficiel au
plus profond. Ici, Rachi dit que c’est à ce troisième niveau, le plus profond,
que le mot « וַיִּשְׁמְעוּ » fait référence. L’acceptation des frères était donc
entière.
Le pouvoir de
persuasion de Yéhouda est donc fort. On voit bien, de cette histoire, que les
frères ont accepté de changer leur plan, sous l’impulsion de Yéhouda.
Nous avons ainsi
répondu à la question #4. Attelons-nous maintenant aux questions #2 et #3.
Rachi dit que c’est au
moment où ils ont vu la souffrance terrible de leur père qu’ils en ont voulu à
Yéhouda de ne pas les avoir convaincus d’annuler leur plan au sujet de Yossef.
Alors, allons voir les versets qui parlent de la souffrance de Ya’akov. Ils sont à peine quelques versets avant
le verset qui parle de la descente de Yéhouda (Béréchit 37:33-34):
לג וַיַּכִּירָהּ
וַיֹּאמֶר כְּתֹנֶת בְּנִי, חַיָּה רָעָה אֲכָלָתְהוּ; טָרֹף טֹרַף,
יוֹסֵף.
|
33 Il la reconnut et
s'écria: "La tunique de mon fils! Une bête féroce l'a dévoré! Yossef a
été mis en pièces!"
|
לד וַיִּקְרַע
יַעֲקֹב שִׂמְלֹתָיו, וַיָּשֶׂם שַׂק בְּמָתְנָיו; וַיִּתְאַבֵּל עַל-בְּנוֹ,
יָמִים רַבִּים.
|
34 Et Ya’akov déchira ses
vêtements et il mit un cilice sur ses reins et il porta le deuil de son fils
pendant de nombreux jours.
|
לה וַיָּקֻמוּ
כָל-בָּנָיו וְכָל-בְּנֹתָיו לְנַחֲמוֹ, וַיְמָאֵן לְהִתְנַחֵם,
וַיֹּאמֶר, כִּי-אֵרֵד אֶל-בְּנִי אָבֵל שְׁאֹלָה;
וַיֵּבְךְּ אֹתוֹ, אָבִיו.
|
35 Tous ses fils et toutes
ses filles se mirent en devoir de le consoler; mais il refusa toute
consolation et dit: "Non! Je rejoindrai, en pleurant, mon fils dans la
tombe!" Et son père continua de le pleurer.
|
Tiens, tiens, on a un
autre « וַיֵּרֶד »,
dans ce petit passage (« כִּי-אֵרֵד אֶל-בְּנִי אָבֵל שְׁאֹלָה »). C’est comme si Rachi nous
disait : « si tu veux comprendre le « וַיֵּרֶד » de Yéhouda, va
regarder le dernier « וַיֵּרֶד »,
c’était celui de Ya’akov ».
Bien. Il y a deux
choses étranges dans ce petit passage du deuil de Ya’akov :
1/ Comment est-ce
possible qu’un homme n’arrive pas à se consoler, à jamais ?
2/ Quel est l’intérêt
du détail suivant dans l’histoire : « וַיָּקֻמוּ כָל-בָּנָיו וְכָל-בְּנֹתָיו לְנַחֲמוֹ » - « Tous ses fils et toutes ses filles se
mirent en devoir de le consoler » ? Qu’est-ce que cela
apporte-t-il à la compréhension du texte ?
Voilà ce que je
pense :
Yéhouda et ses frères
pensaient bien faire. Ils voulaient que leur famille rentre dans l’ordre, que
l’ainé de la famille redevienne Réouven (comme nous l’avons vu dans les
épisodes précédents). Ils pensaient que Ya’akov finirait bien par se consoler
comme toute personne endeuillée…
Imaginez l’effroi des
frères quand ils se rendent compte que, même des années plus tard, leur père ne
se remet toujours pas de la disparition de Yossef. Ya’akov demeure
inconsolable. Pourquoi ?
C’est encore Rachi qui
va nous éclairer. Il dit qu’on peut se remettre de la disparition de quelqu’un
qui est mort, mais pas de la disparition de quelqu’un qui ne l’est pas (Rachi
sur Béréchit 37:35) :
וימאן להתנחם -
אין אדם יכול לקבל תנחומין על החי וסבור שמת, שעל המת נגזרה גזירה שישתכח מן הלב ולא על החי: |
Il refusa d’être consolé On
n’accueille pas de consolation pour une personne en vie, en pensant qu’elle
est morte (Beréchith raba 84, 21). Car c’est aux morts que s’applique le
décret divin qui les fait tomber dans l’oubli, pas aux vivants (Pessa‘him
54b).
|
Le cadeau de l’oubli que D.ieu nous donne ne s’applique que
pour les personnes décédées. On ne peut pas oublier de la même manière une
personne qui disparaît mais qui n’est pas décédée. Donc même si Ya’akov n’avait
pas conscience que Yossef était vivant, il ne s’est pas consolé, et n’est pas
sorti de son tourment, malgré les paroles sincères de consolation de ses fils.
Pourquoi ? Parce qu’il n’avait pas la certitude de sa mort ! Il n’a
pas vu le corps de Yossef… Et les frères en sont troublés.
Revenons maintenant à
notre question de départ : qu’est-ce que l’histoire de Yéhouda et Tamar
fait ici, au beau milieu de l’histoire de Yossef ? Rachi nous a permis de
comprendre la présence de l’expression « וַיֵּרֶד יְהוּדָה מֵאֵת אֶחָיו »
et la raison pour laquelle cela signifie que Yéhouda est descendu de sa position
de leader vis-à-vis de ses frères. Mais comment comprendre la présence de toute
l’histoire dans son ensemble ?
L’Histoire est bien à sa place
Je crois que Rachi,
comme souvent, ne nous montre que la partie émergée de l’iceberg. Il nous a
fait l’allusion au lien entre les termes de « וַיֵּרֶד » de Yéhouda et
de « כִּי-אֵרֵד »
de prononcés par Ya’akov. En réalité, il y a plein de liens textuels et
thématiques entre l’histoire de Yéhouda et Tamar et celle de la vente de
Yossef.
A priori, me
direz-vous, il n’y aucun rapport entre ces histoires. En effet, d’un côté on a
un frère qui se fait vendre par ses frères, de l’autre, un homme qui a une
relation avec sa belle-fille. Alors, je vous propose de vous arrêter quelques
instants et de lire l’histoire de Yéhouda et Tamar (Chapitre 38) et de chercher
tout ce qui vous fait penser à l’histoire de Yossef et ses frères.
Première lecture
Procédons pour
commencer à une lecture de l’histoire de Yéhouda et Tamar (Béréchit 38) .
א וַיְהִי בָּעֵת הַהִוא,
וַיֵּרֶד יְהוּדָה מֵאֵת אֶחָיו; וַיֵּט עַד-אִישׁ עֲדֻלָּמִי, וּשְׁמוֹ
חִירָה.
|
1 Il arriva, en ce temps là, que Juda
s'éloigna de ses frères et s'achemina vers un habitant d'Adoullam, nommé
Hira.
|
ב וַיַּרְא-שָׁם יְהוּדָה
בַּת-אִישׁ כְּנַעֲנִי, וּשְׁמוֹ שׁוּעַ; וַיִּקָּחֶהָ, וַיָּבֹא אֵלֶיהָ.
|
2 Là, Juda vit la fille d'un Cananéen,
appelé Choua; il l'épousa et s'approcha d'elle.
|
ג וַתַּהַר, וַתֵּלֶד בֵּן;
וַיִּקְרָא אֶת-שְׁמוֹ, עֵר.
|
3 Elle conçut et enfanta un fils, à qui
il donna le nom d'Ér.
|
ד וַתַּהַר עוֹד, וַתֵּלֶד
בֵּן; וַתִּקְרָא אֶת-שְׁמוֹ, אוֹנָן.
|
4 Elle conçut encore et eut un fils et
elle lui donna le nom d’Onàn.
|
ה וַתֹּסֶף עוֹד וַתֵּלֶד
בֵּן, וַתִּקְרָא אֶת-שְׁמוֹ שֵׁלָה; וְהָיָה בִכְזִיב, בְּלִדְתָּהּ
אֹתוֹ.
|
5 De nouveau elle enfanta un fils et
elle le nomma Chéla. Il était à Kezib lorsqu'elle l'enfanta.
|
ו וַיִּקַּח יְהוּדָה
אִשָּׁה, לְעֵר בְּכוֹרוֹ; וּשְׁמָהּ, תָּמָר.
|
6 Juda choisit une épouse à Ér, son
premier né; elle se nommait Thamar.
|
Bien. Yéhouda a donc 3
fils : ’Er, Onan et Chéla. Il marie son fils ainé, ’Er, à Tamar.
ז וַיְהִי, עֵר בְּכוֹר
יְהוּדָה--רַע, בְּעֵינֵי ה׳; וַיְמִתֵהוּ, ה׳.
|
7 Ér, le premier né de Juda, ayant déplu
au Seigneur, le Seigneur le fit mourir.
|
ח וַיֹּאמֶר יְהוּדָה
לְאוֹנָן, בֹּא אֶל-אֵשֶׁת אָחִיךָ וְיַבֵּם אֹתָהּ; וְהָקֵם זֶרַע,
לְאָחִיךָ.
|
8 Alors Juda dit à Onàn: "Épouse la
femme de ton frère en vertu du lévirat, afin de constituer une postérité à
ton frère."
|
’Er est mauvais[1]
aux yeux de Hachem. Hachem le tue. Et Yéhouda demande à son deuxième fils de
faire le Yboum à Tamar.
C’est la première fois dans la Torah que le concept du Yboum est clairement mentionné. Ici,
comme le fait remarqué le Ramban, il ne s’agit pas du Yboum non pas au sens halakhique, mais au sens large du terme.
La loi de Yboum
est la suivante : lorsque un homme et une femme sont mariés, et que
l’homme meurt sans laisser d’enfant (ni garçon, ni fille), le frère du défunt a
l’obligation, pour perpétuer le nom de son frère, de se marier avec la veuve.
Il n’y a pas de mariage formel car le frère prend juste la place du défunt.
L’enfant qui naîtra de ce nouveau mariage sera l’héritier du défunt, et non du
frère vivant.
Avant de réaliser le Yboum,
la veuve est appelée Chomérète Yavam,
elle n’est alors autorisée à se marier avec aucun autre homme que le frère de
son mari défunt.
Si les deux protagonistes – la veuve et le frère du défunt
– ne veulent pas faire ce Yboum, il y
a une cérémonie appelée ’halitsa qui
permet d’en sortir.
De nos jours, si une veuve décide qu’elle n’est pas
intéressée par un Yboum et qu’elle ne
souhaite pas attendre que la cérémonie de la ’halitsa soit faite, et qu’elle se marie entre temps avec un autre
homme sans ’halitsa, c’est grave
parce qu’elle a transgressé un commandement positif de la Torah. Cependant, le
mariage n’est pas délégitimé par la Torah, dans le sens où ils peuvent rester
mariés et les enfants ne sont pas considérés mamzérim - adultérins, car ce n’est pas un adultère. Mais il semble
qu’au temps de Yéhouda et Tamar [2],
si une Chomérète Yavam avait une
relation intime avec un autre homme que le Yavam,
c’était considéré comme un adultère – le mariage d’avec le défunt n’ayant
finalement jamais été rompu…
ט וַיֵּדַע אוֹנָן, כִּי
לֹּא לוֹ יִהְיֶה הַזָּרַע; וְהָיָה אִם-בָּא אֶל-אֵשֶׁת אָחִיו, וְשִׁחֵת
אַרְצָה, לְבִלְתִּי נְתָן-זֶרַע, לְאָחִיו.
|
9 Onân comprit que cette postérité ne
serait pas la sienne; et alors, chaque fois qu'il approchait de la femme de
son frère, il corrompait sa voie, afin de ne pas donner de postérité à son
frère.
|
י וַיֵּרַע בְּעֵינֵי ה׳,
אֲשֶׁר עָשָׂה; וַיָּמֶת, גַּם-אֹתוֹ.
|
10 Sa conduite déplut au Seigneur, qui le
fit mourir de même.
|
Maintenant, deux
enfants de Yéhouda sont morts. Il n’en reste plus qu’un seul vivant.
יא וַיֹּאמֶר יְהוּדָה
לְתָמָר כַּלָּתוֹ שְׁבִי אַלְמָנָה בֵית-אָבִיךְ, עַד-יִגְדַּל שֵׁלָה
בְנִי--כִּי אָמַר, פֶּן-יָמוּת גַּם-הוּא כְּאֶחָיו; וַתֵּלֶךְ תָּמָר,
וַתֵּשֶׁב בֵּית אָבִיהָ.
|
11 Et Juda dit à Thamar, sa belle fille:
"Demeure veuve dans la maison de ton père, jusqu'à ce que mon fils Chéla
soit plus grand," car il craignait qu’il ne meure, lui aussi, comme ses
frères. Et Thamar s’en alla demeurer dans la maison de son père.
|
Yéhouda a peur pour
son dernier enfant. Il fait alors croire à Tamar qu’il n’est pas contre l’idée
que Chéla pourra se marier avec Tamar plus tard ; alors qu’en vérité, il
cherche à tout prix à l’éviter.
יב וַיִּרְבּוּ, הַיָּמִים,
וַתָּמָת, בַּת-שׁוּעַ אֵשֶׁת-יְהוּדָה; וַיִּנָּחֶם יְהוּדָה, וַיַּעַל
עַל-גֹּזְזֵי צֹאנוֹ הוּא וְחִירָה רֵעֵהוּ הָעֲדֻלָּמִי--תִּמְנָתָה.
|
12 Longtemps après mourut la fille de
Choua, femme de Juda. Quand Juda se fut consolé, il alla surveiller la tonte
de ses brebis, avec Hira son ami l'Adoullamite, à Timna.
|
13 On informa Thamar en ces termes:
"Ton beau père monte en ce moment à Timna pour tondre ses brebis."
|
|
14 Elle quitta ses vêtements de veuve,
prit un voile et s'en couvrit; et elle s'assit au carrefour des Deux Sources,
qui est sur le chemin de Timna. Car elle voyait que Chéla avait grandi et
qu'elle ne lui avait pas été donnée pour épouse.
|
|
15 Juda, l'ayant aperçue, la prit pour
une prostituée; car elle avait voilé son visage.
|
Selon le Ramban, en
agissant de la sorte, Tamar essaye de déclencher un acte de Yboum sous son format étendu (où
n’importe quel homme de la famille du défunt peut accomplir le Yboum).
טז וַיֵּט אֵלֶיהָ
אֶל-הַדֶּרֶךְ, וַיֹּאמֶר הָבָה-נָּא אָבוֹא אֵלַיִךְ, כִּי לֹא יָדַע, כִּי
כַלָּתוֹ הִוא; וַתֹּאמֶר, מַה-תִּתֶּן-לִי, כִּי תָבוֹא, אֵלָי.
|
16 Il se dirigea de son côté et lui dit:
"Laisse moi te posséder." Car il ignorait que ce fût sa belle
fille. Elle répondit: "Que me donneras-tu pour me posséder?"
|
יז וַיֹּאמֶר, אָנֹכִי
אֲשַׁלַּח גְּדִי-עִזִּים מִן-הַצֹּאן; וַתֹּאמֶר, אִם-תִּתֵּן עֵרָבוֹן עַד
שָׁלְחֶךָ.
|
17 Il répliqua: "Je t'enverrai un
chevreau de mon troupeau." Et elle dit: "Bien, si tu me donnes un
gage en attendant cet envoi."
|
יח וַיֹּאמֶר, מָה הָעֵרָבוֹן
אֲשֶׁר אֶתֶּן-לָךְ, וַתֹּאמֶר חֹתָמְךָ וּפְתִילֶךָ, וּמַטְּךָ אֲשֶׁר
בְּיָדֶךָ; וַיִּתֶּן-לָהּ וַיָּבֹא אֵלֶיהָ, וַתַּהַר לוֹ.
|
18 Il reprit: "Quel gage te
donnerai-je?" Elle répondit: "Ton sceau, ton cordon et le bâton que
tu as à la main." Il les lui donna, il approcha d'elle et elle conçut de
son fait.
|
Ce dialogue, assez
long, est pour le moins étrange. Quel intérêt a cette négociation pour définir ce
que sera le gage que Yéhouda devra laisser ?
יט וַתָּקָם וַתֵּלֶךְ,
וַתָּסַר צְעִיפָהּ מֵעָלֶיהָ; וַתִּלְבַּשׁ, בִּגְדֵי אַלְמְנוּתָהּ.
|
19 Elle se leva et partit; elle quitta
son voile et reprit les vêtements de son veuvage.
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כ וַיִּשְׁלַח יְהוּדָה
אֶת-גְּדִי הָעִזִּים, בְּיַד רֵעֵהוּ הָעֲדֻלָּמִי, לָקַחַת הָעֵרָבוֹן, מִיַּד
הָאִשָּׁה; וְלֹא, מְצָאָהּ.
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20 Juda envoya le chevreau par
l'entremise de son ami l'Adoullamite, pour retirer le gage des mains de cette
femme; il ne la trouva point.
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כא וַיִּשְׁאַל אֶת-אַנְשֵׁי
מְקֹמָהּ, לֵאמֹר, אַיֵּה הַקְּדֵשָׁה הִוא בָעֵינַיִם, עַל-הַדָּרֶךְ; וַיֹּאמְרוּ,
לֹא-הָיְתָה בָזֶה קְדֵשָׁה.
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21 Il questionna les gens de l'endroit,
disant: "Où est la prostituée qui se tient aux Deux Sources, sur le
chemin?" Ils répondirent: Il n'y a point de prostituée ici."
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כב וַיָּשָׁב, אֶל-יְהוּדָה,
וַיֹּאמֶר, לֹא מְצָאתִיהָ; וְגַם אַנְשֵׁי הַמָּקוֹם אָמְרוּ, לֹא-הָיְתָה
בָזֶה קְדֵשָׁה.
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22 Il retourna auprès de Juda et dit:
"Je ne l'ai pas trouvée; et même les habitants de l'endroit ont dit
qu'il n'y avait point là de prostituée."
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כג וַיֹּאמֶר יְהוּדָה
תִּקַּח-לָהּ, פֶּן נִהְיֶה לָבוּז; הִנֵּה שָׁלַחְתִּי הַגְּדִי הַזֶּה,
וְאַתָּה לֹא מְצָאתָהּ.
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23 Et Juda dit: "Qu'elle garde ce
qu'elle a et que nous n'ayons pas à rougir; car enfin, j'ai envoyé ce
chevreau et tu n'as pu la trouver."
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Et Yéhouda est très
attaché au gage qu’il a laissé. Il essaye par plusieurs moyens de le récupérer sans
succès. Et, trois mois plus tard…
כד וַיְהִי כְּמִשְׁלֹשׁ
חֳדָשִׁים, וַיֻּגַּד לִיהוּדָה לֵאמֹר זָנְתָה תָּמָר כַּלָּתֶךָ, וְגַם הִנֵּה
הָרָה, לִזְנוּנִים; וַיֹּאמֶר יְהוּדָה, הוֹצִיאוּהָ וְתִשָּׂרֵף.
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24 Or, environ trois mois après, on
informa Juda, en disant:"Thamar, ta bru, s'est prostituée et elle porte
dans son sein le fruit de la débauche." Juda répondit: "Emmenez la
et qu'elle soit brûlée!"
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Tamar est accusée
d’avoir transgressé son Yboum et,
comme nous l’avons vu, à l’époque cela était considéré comme de l’adultère. La
voilà donc condamnée à mort.
כה הִוא מוּצֵאת, וְהִיא
שָׁלְחָה אֶל-חָמִיהָ לֵאמֹר, לְאִישׁ אֲשֶׁר-אֵלֶּה לּוֹ, אָנֹכִי הָרָה;
וַתֹּאמֶר, הַכֶּר-נָא--לְמִי הַחֹתֶמֶת וְהַפְּתִילִים וְהַמַּטֶּה,
הָאֵלֶּה.
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25 Comme on l'emmenait, elle envoya dire
à son beau père: "Je suis enceinte du fait de l'homme à qui ces choses
appartiennent." Et elle dit: "Examine, je te prie, à qui
appartiennent ce sceau, ces cordons et ce bâton."
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26 Juda les reconnut et dit: "Elle
est plus juste que moi, car il est vrai que je ne l'ai point donnée à Chéla
mon fils." Cependant il cessa, dès lors, de la connaître.
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Yéhouda reconnaît que
ce gage est bien le sien. Ainsi, Tamar est sauve et la grossesse continue
normalement jusqu’à la naissance de jumeaux.
כז וַיְהִי, בְּעֵת
לִדְתָּהּ; וְהִנֵּה תְאוֹמִים, בְּבִטְנָהּ.
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27 Or il se trouva, lors de son
enfantement, qu'elle portait des jumeaux dans son sein.
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28 Au moment de sa délivrance, l'un d'eux
avança la main; la sage femme la saisit et y attacha un fil d'écarlate, pour
indiquer que celui ci était né le premier.
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29 Comme il retirait sa main, voici que
son frère vint au monde. Elle dit: "Avec quelle violence tu te fais
jour!" Et on lui donna le nom de Péreç.
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30 Ensuite naquit son frère, dont la main
portait le fil d’écarlate. On lui donna le nom de Zérah.
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Voilà. Fin de
l’histoire.
Parallèles
Maintenant nous sommes
prêts à identifier les parallèles qui existent entre l’histoire de Yéhouda et
Tamar et celles qui l’entourent.
1/ Haker Na
Déjà le Midrash (Béréchit Rabbah 84:19) relève le parallèle suivant. Tamar emploie
deux mots (Béréchit 38:25) :
« הַכֶּר-נָא»,
« Examine, je te prie ». Elle cite Yéhouda lui-même quand il a présenté le
manteau de Yossef à Ya’akov (Béréchit
37:32) :
לב וַיְשַׁלְּחוּ
אֶת-כְּתֹנֶת הַפַּסִּים, וַיָּבִיאוּ אֶל-אֲבִיהֶם, וַיֹּאמְרוּ, זֹאת
מָצָאנוּ: הַכֶּר-נָא,
הַכְּתֹנֶת בִּנְךָ הִוא--אִם-לֹא.
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32 puis ils envoyèrent cette
tunique à rayures, qu'on apporta à leur père en disant: "Voici ce que
nous avons trouvé; examine si c'est la tunique de ton fils ou non."
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Ces deux mots suivis –
« הַכֶּר-נָא»
– ne se trouvent d’ailleurs mentionnés que deux fois dans tout le Tanakh, ce sont ces deux fois-là.
2/ Développer le Midrash de Haker Na
En réalité, la
ressemblance entre la déclaration de Tamar et celle de Yéhouda ne se limite pas
à la seule expression « הַכֶּר-נָא» !
Presque tout ce qui entoure ces déclarations est similaire. Regardez :
a.
Tous deux demandent à leur (beau-) père de
reconnaître
b.
Dans les deux cas, il s’agit de reconnaître une
tunique
c.
Aucun des deux ne confronte la personne à qui
ils parlent de manière directe. Dans les deux cas, ce n’est pas eux qui
montrent la tunique, mais il la font envoyer
d.
D’ailleurs, le terme utilisé pour parler de
l’envoi de la tunique est le même (shala’h)
Au sujet de Tamar, le passouk
dit (Béréchit 38:25) : « וְהִיא שָׁלְחָה אֶל-חָמִיהָ לֵאמֹר »
- « elle envoya dire à son beau-père ». Au sujet des frères de Yossef
avec à leur tête Yéhouda, le passouk
dit (Béréchit 37:32) : « וַיְשַׁלְּחוּ אֶת-כְּתֹנֶת הַפַּסִּים »
- « ils envoyèrent la tunique colorée ».
e.
Dans les deux cas, l’expression « הַכֶּר-נָא» est couplée
d’une autre expression contenant le verbe trouver – matsa
Les frères disent (Béréchit
37:32) : « זֹאת מָצָאנוּ», « Voici ce que nous avons trouvé », et de Tamar il est écrit : « הִוא מוּצֵאת », « Comme
on l'emmenait ». Les deux verbes employés ont en fait la même racine, mais des
significations différentes : « trouver » dans le cas des frères,
et « sortir » (ou faire sortir) dans le cas de Tamar.
3/ Deuil et consolation
Tamar s’est habillée
en noir pendant des années, Chéla a eu le temps de devenir un homme et Tamar
est toujours en deuil, elle porte toujours le même habit de deuil depuis la
mort de son mari. Pourquoi ? On ne s’endeuille pas si longtemps normalement !
Cela vous rappelle,
évidemment, le deuil de Ya’akov pour Yossef, interminable.
L’explication du deuil
interminable de Tamar aura la même explication que celui de Ya’akov que nous avons
trouvé dans Rachi. En effet, ’Er est-il mort ? Eh bien, pas vraiment. Il
attend encore qu’on lui fasse un Yboum,
qu’on ressuscite son nom, sa lignée. Et
ce point-là n’est pas résolu.
S’il n’y avait aucun
frère, il n’y aurait plus eu de question. Si Chéla s’était marié avec elle, il
n’y aurait plus eu de question. Mais tant qu’elle n’arrive pas à ressusciter ce
mariage et faire ‘revenir’ son mari, elle ne peut pas arrêter de
s’endeuiller. Ya’akov également ne
cesse de s’endeuiller pour la ‘mort’ de son fils qui n’est pas résolue.
Il est d’ailleurs
intéressant de noter que le texte prend le temps de nous préciser que quand la
femme de Yéhouda est décédée, celui-ci a pu se consoler (Béréchit 38:12) : « וַיִּנָּחֶם יְהוּדָה ».
On a l’impression que la Torah nous dit : « Yéhouda, lui, a réussi à
se consoler, mais les autres, à savoir Ya’akov et Tamar, eux, ne peuvent pas se
consoler à cause de Yéhouda ! »
5/ Séduction et tunique
Dans le chapitre 39,
celui qui suit l’histoire de Yéhouda et Tamar, on retrouve un manteau. On y
voit la femme de Potiphar qui séduit Yossef et lui demande d’aller avec lui.
Yossef laisse son manteau entre les mains de Mme Potiphar, et s’enfuie… en
pyjama. Ceci n’est pas très sage de la part de Yossef car elle a maintenant un
élément incriminant : « Regardez, il a essayé de me violer, voilà la
preuve… ». Et elle fait emprisonner Yossef.
Quel est le rôle joué
par le manteau dans le chapitre 38 ? Et dans le chapitre 39 ? Ce rôle
est double dans chacun des cas.
Au début de chaque
histoire, il joue un même rôle X, qui se transforme en un même rôle Y à la fin.
Dans le chapitre 38, le manteau est, pour Tamar, une protection pour elle, au
début de l’histoire. Et le manteau se transforme en preuve incriminante à la
fin. De même, dans le chapitre 39, le manteau de Yossef est d’abord une
protection pour Yossef qui se transforme aussitôt en preuve incriminante.
Cependant, ces deux
chapitres relatent des histoires en miroir :
Ø
Dans le chapitre 38, la femme (Tamar) agit
noblement alors que l’homme (Yéhouda) agit par égarement. Dans le chapitre 39,
c’est le contraire.
Ø
Dans le chapitre 38, le manteau est une preuve
incriminante légitime, ce qui n’est pas le cas dans le chapitre 39[3].
6/ Gage – ’Eravone
Dans l’histoire de
Yéhouda et Tamar, on le voit tout de suite ; il y a un gage que Tamar
exige avant de passer à l’acte (Béréchit
38:17) :
יז וַיֹּאמֶר, אָנֹכִי
אֲשַׁלַּח גְּדִי-עִזִּים מִן-הַצֹּאן; וַתֹּאמֶר, אִם-תִּתֵּן עֵרָבוֹן עַד שָׁלְחֶךָ.
|
17 Il répliqua: "Je t'enverrai un
chevreau de mon troupeau." Et elle dit: "Bien, si tu me donnes un
gage en attendant cet envoi."
|
Et dans l’histoire de
Yossef et ses frères, y a-t-il aussi un gage, un ’éravone?
Nous retrouvons
effectivement le mot « ערבון » dans l’histoire de la vente
de Yossef. Yéhouda dira à son père (Béréchit
43:9) :
ט אָנֹכִי, אֶעֶרְבֶנּוּ--מִיָּדִי, תְּבַקְשֶׁנּוּ: אִם-לֹא הֲבִיאֹתִיו
אֵלֶיךָ וְהִצַּגְתִּיו לְפָנֶיךָ, וְחָטָאתִי לְךָ כָּל-הַיָּמִים.
|
9 C'est moi qui réponds
de lui, c'est à moi que tu le redemanderas: si je ne te le ramène et ne le
remets en ta présence, je me déclare coupable à jamais envers toi.
|
Gardons cet élément de
côté, nous y reviendrons.
7/ Chaine de chevreaux et de tuniques
Il y a une sorte de
chaine de « chevreaux et tuniques » qui s’étale sur trois
générations…
Tamar exige de
recevoir un chevreau. Yéhouda donne donc sa tunique en gage car il n’a pas de
chevreau. Pourquoi n’en-a-t-il pas ? Peut-être parce qu’il a déjà tué le
chevreau juste avant, dans l’histoire de la vente de Yossef où Yéhouda avait
trempé la tunique de Yossef dans le sang du chevreau.
Et cela nous ramène à
la génération précédente : Ya’akov avait aussi préparé des chevreaux et
porté la tunique de son père Yits’hak afin de recevoir ses bénédictions[4]…
8/ Deux sont partis, on a peur pour le troisième
Yéhouda a perdu deux fils, ’Er et Onan. Il a
ensuite peur de perdre un troisième fils, Chéla. Il en est de même pour
Ya’akov. Il a déjà perdu Yossef. Il en perdra un deuxième, Chim’on, qui sera
emprisonné en Egypte. A ce moment là, Ya’akov aura perdu deux fils, et
n’acceptera pas de laisser partir Binyamin, de peur de le perdre.
Ce qui est marquant,
c’est que ces pertes et ces craintes sont similaires. Je m’explique :
a.
Qu’est-ce qui cause la perte de ’Er? La Torah
nous dit que c’est à cause de son comportement mauvais (Béréchit 38:7): « וַיְהִי, עֵר בְּכוֹר יְהוּדָה--רַע, בְּעֵינֵי ה׳ ». On retrouve
la même terminologie de mal – ra’ – dans ce qui a causé la vente,
la perte de Yossef (Béréchit
37:2): « וַיָּבֵא
יוֹסֵף אֶת-דִּבָּתָם רָעָה, אֶל-אֲבִיהֶם ».
b.
De même, qu’est-ce qui cause la perte du
deuxième enfant, Onan ? On pourrait qualifier le comportement de Onan
comme manquant de loyauté envers son
frère, il n’a pas accepté de lui porter secours et reconstruire son nom.
C’est exactement pareil pour Chim’on ? Pourquoi est-ce
lui que Yossef a emprisonné en Egypte ? Le texte nous dit que Yossef a
entendu ses frères parler en Hébreu, Réouven dit à ses frères :
« Pourquoi ne m’avez-vous pas écouté ? Voilà que maintenant nous
payons pour le mal que nous avons causé à Yossef ! ». Yossef comprend
de là que Réouven n’est pas responsable de ce qui lui est arrivé, il prend donc
le deuxième plus grand de la fratrie, c’est-à-dire Chim’on. Il se trouve par
conséquent que Chim’on a été emprisonné pour son manque de loyauté envers son
frère Yossef !
c.
A la fois Yéhouda et Ya’akov s’expriment de la
même manière pour évoquer leur crainte du mal qui pourrait arriver à leur
troisième fils. Yéhouda ne souhaite pas mettre en danger son fils Chéla, il dit
(Béréchit 38:x) : « פֶּן-יָמוּת גַּם-הוּא כְּאֶחָיו » - « de
peur qu’il ne meure comme ses frères ». Ya’akov dit en parlant de Binyamin
(Béréchit 42:4) : « פֶּן-יִקְרָאֶנּוּ אָסוֹן »
- « Il pourrait lui arriver malheur ».
Conclusion
Non
seulement avons-nous montré à quel point cette histoire de Yéhouda et Tamar
était à sa place, tellement imbriquée dans l’histoire de Yossef ; mais on
ne peut s’empêcher d’arriver à la conclusion que la providence divine a placé
Yéhouda dans la même situation que celle dans laquelle Yéhouda a placé son
père.
Les
questions qui se posent alors à Yéhouda sont: « Voilà ce que tu as fait à
ton père. Arriveras-tu à t’en sortir ? De plus, toi, Yéhouda, tu as
tenté de déshérité ton frère[5],
de le rejeter de la famille. La question pour toi, maintenant, est : seras-tu
déshérité et rejeté de la famille ? »
C’est
là que le Haker Na de Yéhouda prend
une importance incroyable, c’est le début de sa repentance, de la reprise de sa
place de leader, de roi. En effet, sans Haker
Na, c’est toute la lignée Davidienne qui partait en fumée[6].
Traduit
librement par Naty à partir d’une série de conférences données par Rav Fohrman
en 2008. Le titre original de la série est : « The Sale of Joseph ».
[2]
C’est-à-dire : avant Matane Torah
[3]
N.d.T – nous étudierons l’histoire de Yossef et la femme de Potiphar dans le
prochain épisode de cette série.
[4]
Et si déjà on parle de Yits’hak, il y a un autre parallèle entre Yéhouda et
Tamar et l’histoire de Yits’hak. En effet, Yits’hak a eu deux jumeaux dont l’un
a tiré le pied de l’autre au moment de la naissance ; Yéhouda a eu deux
jumeaux dont l’un a devancé l’autre au moment de la naissance.
[5]
Cf. http://www.ravfohrman.fr/2011/12/la-vente-de-yossef-episode-2-yossef.html
où je montre que les frères cherchaient à faire vivre à Yossef une sorte
d’ « Expulsion d’Yshma’ël »
[6]
Pour une lecture complémentaire du comportement de Yéhouda d’un point de vue de
la perte/récupération de son leadership, voir http://www.ravfohrman.fr/2013/04/de-peur-den-arriver-au-scandale-23.html
Bravo encore Naty. A chaque publication c'est un évenement attendu!
RépondreSupprimerJe voulais te demander si la venue en France du Rav était confirmée. Si c'etait les cas, j'espere qu'il nous fera de belles conferences à Paris...
Kol Tov
Salut!
SupprimerOui, ca se confirme. J'attendais d'avoir l'affiche pour la diffuser sur le blog.
Il donnera normalement une belle conférence, et je compte sur vous pour amener du monde afin de faire découvrir Rav Fohrman.
Ce sera le Mercredi 26 Février - avec traduction simultanée et tout!
A bientôt,
genial, si tu besoin d'aide ...n'hesite pas
SupprimerExceptionnel..mika
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