Je tiens à préciser que ces questions ont été posées à Rav Fohrman sans préparation préalable. Ces réponses ont été collectées à divers moments de notre séjour en Février 2013, et à chaud : il découvrait les questions, juste avant d’y répondre.
Naty : A la fin de votre livre La Reine que Vous Pensiez Connaître, il est question d’un livre prochain. Qu’en-est-il ? Plusieurs lecteurs du blog m’ont déjà posé cette question ; ils attendent ces livres avec impatience…
Rav David Fohrman : Le (ou les) prochain(s) livre(s) traiteront de l’histoire de Yossef et ses frères. J’espère le(s) sortir avant la prochaine fois que nous lirons leur histoire dans la parasha vayéshev. En fait ce sera un ou deux livres (probablement deux) en fonction de la longueur ; il se peut que ce soit trop long pour n’en faire qu’un seul livre… Certains éléments que tu as traduits sur ton blog seront aussi présents dans ces livres, mais une bonne partie n’a même pas été enregistrée en anglais, l’exclusivité sera pour le livre !
Et puis il y a un autre livre en préparation, qui traitera aussi de la vente de Yossef mais sous différents angles du Tanakh : j’explorerai ce que des textes comme le viol de Dina, piléguesh baguiv’a, Shaoul et David ou encore la méguilat Esther ont à dire sur l’histoire de Yossef. En fait, je vais faire un peu comme la série Star Wars : j’ai d’abord écrit La Reine que Vous Pensiez Connaître, et maintenant je vais écrire des livres qui aboutiront sur ce livre.
D’ailleurs [1], ça me fait penser que je voulais te faire part de mes avancées sur la notion récurrente de ’Akeida que l’on retrouvait aussi chez Yossef. En effet, je pense que cette notion est encore plus présente que j’ai pu le laisser entendre lors de la série sur Yossef que tu as sur ton blog.
Pour être plus précis, je crois qu’il y en fait quatre histoires de ’Akeida :
1/ La ’Akeida, la vraie, la première, celle d’Avraham sur Yits’hak (en réponse à la ‘Akeida ratée du gueiroush Yishmael)
2/ La ’Akeida que Yits’hak semble vouloir faire à son fils ’Essav. Si on fait attention, leur dialogue est très analogue à celui de Yits’hak avec son père (par exemple : hinéni, ayé). Ce n’est pas le moment d’aller dans tous ces détails, mais, en gros, ma théorie est que Yits’hak essaie de recréer une ’Akeida avec son fils ’Essav à qui il souhaite donner les berakhot qu’il a lui-même reçues suite à sa propre ’Akeida. Le problème, c’est que Ya’akov va interrompre cette ’Akeida.
Il semblerait que cette ’Akeida ait été trop facile : quoi de plus simple pour un chasseur professionnel que de chasser…
3/ Puis, à la génération suivante, Ya’akov lui-même essaie de faire une ’Akeida avec son fils Yossef qu’il considère comme son békhor à qui il souhaite transmettre ses berakhot. Mais là, peut-être que la ’Akeida a été trop difficile. D’ailleurs, cette ’Akeida est également interrompue par les frères de Yossef qui n’acceptent pas ce choix de Ya’akov.
On remarque que les ’Akeida déclenchées par des hommes sont imparfaites… Jusqu’à ce qu’on arrive à la dernière ’Akeida, réussie celle-ci, parce qu’orchestrée par D.ieu lui-même. Vois-tu à quoi je pense ? Rappelons-nous : (a) dans chaque ’Akeida, il y a un homme qui doit se faire tuer mais finalement un animal est tué à sa place, (b) c’est aussi à chaque fois pour déterminer le békhor. La prochaine fois que ces éléments se reproduisent, c’est …
4/ Le Korban Pessa’h ! Là-bas aussi on passe un test en acceptant de sacrifier un animal ; c’est l’animal qui est tué à notre place et nous sommes délivrés d’Egypte par ce mérite. Et c’est là que nous devenons béni békhori Israël. Enfin, c’est là que les berakhot de la ’Akeida se concrétisent…
Naty : Il y a une question que nous avons reçue sur le blog par un lecteur au sujet du cours sur Pourquoi Avraham a-t-il été choisi ? Ce lecteur demandait : si le mariage entre Avraham et Sarah était en fait un Yboum pour perpétuer la descendance du défunt Haran, doit-on en conclure que Yits’hak est le fils de Haran ?
Rav David Fohrman : C’est une très bonne question. Je me suis moi-même posé cette question. De manière plus générale, je me suis demandé : quel lien y-a-t-il entre le Yavam et son fils ? L’enfant qui est le fruit d’un Yboum : est-il le yoresh à 100% du défunt ou bien partage-t-il l’héritage de son père biologique ainsi que de son frère défunt ? J’ai bien l’impression qu’il s’agit d’un héritage partagé [2].
Si ceci est vrai (et je n’en suis pas complètement sûr), Yits’hak appartiendrait donc à la fois à Haran et à Avraham. Certainement qu’il est le fils (pas seulement biologique) d’Avraham [3], mais il est sans doute aussi d’un point de vue spirituel le fils de Haran.
Et cela a une conséquence incroyable car nous ne sommes pas seulement les enfants d’Avraham mais nous sommes les enfants de toute la famille de Téra’h !! En effet, on vient d’Avraham, de Na’hor (grand père de Rivka) et de Haran (père de Sarah).
A ce sujet, il y a quelque chose d’étonnant dans la lecture de la Torah que nous faisons à Rosh Hashana. Tout y tourne autour de la ’Akeida mais, bizarrement, on termine cette lecture par un passage qui a l’air hors contexte. On nous parle de la descendance de Na’hor avec Milka dans tous ses détails : (Béréchit 22:20) « הִנֵּה יָלְדָה מִלְכָּה גַם-הִוא, בָּנִים--לְנָחוֹר אָחִיךָ ». Quel intérêt à ce passage ? Quel rapport a-t-il avec la ’Akeida qui le précède ?
Ecoute bien ce que je vais te dire.
C’est quoi ce « גַם-הִוא » - « elle aussi » ? Souviens toi de la théorie : Avraham et Na’hor ont fait un acte de yboum après la mort de leur frère Haran et se sont mariés avec respectivement Sarah et Milka. Et quand sait-on que le Yboum qu’Avraham a fait est réussi ? Lorsqu’il a eu Yits’hak, il n’a pas encore démontré que son Yboum était réussi ; on doit voir comment il va se comporter avec lui : va-t-il le considérer comme si c’était son fils à lui et non plus celui de Haran ?
D’ailleurs, quelque part, c’est ça le kitroug du satane avant la ’Akeida. L’histoire de la ’Akeida commence par « וַיְהִי, אַחַר הַדְּבָרִים הָאֵלֶּה », et ’Hazal disent qu’il s’agit des paroles d’accusation du Satane. Il accusait surement Avraham de traiter Yits’hak comme son fils à part entière. Cela signifie que le défi de la ’Akeida était le suivant : « Est-ce que tu considères Yits’hak comme un enfant du Yboum de ton frère ? Ou bien as-tu oublié Haran ? ».
Comment faire ce test à Avraham ? C’est simple : si D.ieu lui dit « rend moi Yits’hak » et que Avraham est d’accord, cela montrera que « maintenant j’ai compris que le Yboum est réussi ».
Et c’est ça le « גַם-הִוא » - « elle aussi » de Na’hor et Milka ! De même que Avraham vient de démontrer qu’il a réussi son Yboum, Na’hor a, lui aussi, réussi son Yboum ! Son dernier fils est Béthouel qui donne naissance à Rivka.
Et que se passe-t-il dans la parasha suivante ? Eh bien, Yits’hak se marie avec Rivka. Te rends-tu compte de ce que ce mariage représente ? C’est Haran qui revient dans ce monde ! Car voila les deux enfants du Yboum de Haran qui se retrouvent : ils forment ensemble la réunion des trois frères par ce Yboum complet ; maintenant Ya’akov peut naître, le père des douze tribus, du klal Israël.
Souviens-toi aussi que le « וַיִּקַּח אַבְרָם וְנָחוֹר לָהֶם נָשִׁים » est un écho à « וַיִּקַּח שֵׁם וָיֶפֶת אֶת-הַשִּׂמְלָה ». C’est-à-dire que Avraham est dans la continuation de Chem ; et Na’hor est dans celle de Yefeth. Suite à cet acte, Noa’h bénira Yefeth de la manière suivante (Béréchit 9:27)): « יַפְתְּ אֱלֹקִים לְיֶפֶת, וְיִשְׁכֹּן בְּאָהֳלֵי-שֵׁם » - « Que D.ieu donne la beauté à Yefeth, et qu’il réside dans les tentes de Chem ». Quand est-ce que cette berakha faite à Yefeth s’est réalisée ?
Qui était beau ? On en connaît deux : Sarah (Béréchit 12:11 « femme au gracieux visage ») et Rivka (Béréchit 24 :16 « Cette jeune fille était extrêmement belle »). Sarah et Rivka. Sarah, la fille de Haran, et Rivka, la fille de Na’hor… La berakha de « יַפְתְּ אֱלֹקִים לְיֶפֶת » s’est donc réalisée, dix générations plus tard, chez Na’hor et sa fille Rivka.
Et quand s’est réalisée la deuxième partie de la berakha : « וְיִשְׁכֹּן בְּאָהֳלֵי-שֵׁם »? Eh bien elle s’est aussi réalisée dix générations plus tard, avec le mariage entre les enfants de Na’hor et d’Avraham (c’est-à-dire l’union entre les continuations de Chem et Yefeth). En effet, lors du mariage entre Yits’hak et Rivka, il est dit (Béréchit 24:67) « וַיְבִאֶהָ יִצְחָק, הָאֹהֱלָה שָׂרָה אִמּוֹ » - « Yits’hak l’amena dans la tente de sa mère Sarah »… La continuation de Yefeth qui réside dans la tente de celle de Chem…
[1] (N.d.T.) Pour bien comprendre ce paragraphe qui traite de la notion de la ‘Akeida, il faut à mon sens, avoir en tête les leçons suivantes – toutes disponibles sur le blog : Akeida et Gueiroush Yishmael et La Vente de Yossef - Episode 1 - Qu'avaient-ils en tête?
[2] Et je pense que c’est comme cela qu’il faut lire (Béréchit 38:9) « וַיֵּדַע אוֹנָן, כִּי לֹּא לוֹ יִהְיֶה הַזָּרַע » - dans le sens où Onan a compris que la descendance qu’il aurait avec Tamar ne serait pas la sienne, exclusivement.
[3] Hachem lui a dit clairement (Béréchit 21:12) « כִּי בְיִצְחָק, יִקָּרֵא לְךָ זָרַע »
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