Le livre de Béréchit est rempli d’histoires qui, chacune prise à part, sont pleines de sens. Par exemple : Adam & ’Hava dans le Gan ’Eden, Caïn et Hévèl, la tour de Babel, le déluge, Avraham qui s’en va de son pays etc. Et, de toutes ces histoires, il est difficile de repérer un fil conducteur. On a l’impression que Béréchit est juste une suite d’histoires qui ne sont pas connectées entre elles. En fait, la question que je pose est la suivante: Peut-on voir toutes les histoires du livre de Béréchit comme des éléments d’une grande histoire qui serait la synthèse du livre dans son ensemble ? Ou, autrement dit : Le livre de Béréchit a-t-il un message général, un thème global ou bien est-ce juste un « catalogue de messages » ?
Les parallèles entre Création et Recréation : Jusqu’où ?
Depuis le début de la série, nous avons vu toute une suite de parallèles (au moins 25 !) entre l’histoire de la Création (Béréchit 1-3) et celle de la recréation qui suivit le déluge (Béréchit 8-9-10 et même 11). Nous en avions conclu, au minimum, que ce qui suivit le déluge ne fut pas seulement une sorte de régénération de l’Humanité mais plutôt une recréation du monde dans son ensemble. Comme nous l’avons vu, ces deux mondes sont différents. Par exemple, la relation homme-animal s’est déplacée etc. Je vous renvoie aux épisodes précédents pour plus de détails.
La question est : jusqu’où ?
Ce que j’aimerais vous montrer, c’est que, étrangement, les parallèles s’arrêtent avec l’histoire de l’arbre de la Connaissance du Bien et du Mal. Et que, par conséquent, l’histoire de l’arbre de la Connaissance du Bien et du Mal a un parallèle dans l’histoire de la recréation. La première étant dans le monde de D.ieu et la seconde dans le monde de l’homme. Dans le monde de l’homme, l’histoire de ne parlera pas d’arbre de la connaissance, mais d’autre chose. Peut-être que lors de la Création c’est D.ieu qui plante et là c’est l’homme qui plante ou, plus largement, c’est l’homme qui agit. Vous verrez que l’on trouve, dans le monde de l’homme, pas une mais deux histoires qui semblent être des images parfaites de l’histoire de l’Arbre de la Connaissance.
Pourquoi tout ceci est important ?
C’est important parce que c’est fascinant, en soi, de découvrir tous ces parallèles dans la Torah. Mais c’est aussi – et surtout – fascinant parce que cela permet de préparer le terrain pour le reste du Séfer Béréchit. On pourrait partager le Séfer Béréchit de plusieurs manières, mais voici celle que notre étude nous amène à voir :
1. Création du Monde de D.ieu
2. Destruction de ce Monde par le déluge et recréation du Monde de l’Homme – comme une sorte de « nouvel essai » avec Noa’h
3. Le monde de Noa’h arrive, d’une certaine manière, à sa fin et D.ieu va faire encore un « nouvel essai » avec Avraham et Il va faire le choix d’une famille qui va devenir Son peuple élu[1].
Ce que j’aimerais vous montrer, c’est qu’il y a une unité et un sens global dans le Séfer Béréchit. Les problèmes qu’Avraham a eu à surmonter sont les mêmes que ceux auxquels le peuple d’Israël sera confronté. Mais ce sont aussi le même type de problèmes que ceux auxquels Adam ou Caïn, ou encore Noa’h ont été confrontés, les surmontant avec plus ou moins de réussite. La nature de ces problèmes a évolué en fonction de la partie de Béréchit dans laquelle les protagonistes se trouvaient.
Cela signifie aussi – et j’appuierai ma théorie par des preuves textuelles ainsi que par ’hazal – que c’est en comprenant les deux premières étapes (Création et Recréation) que nous comprendrons la troisième étape de Béréchit (la saga d’Avraham, celle de Ytshak, celle de Ya’akov ou encore celle de Yossef).
Comment nous allons nous y prendre
Déjà, nous allons terminer de dresser les parallèles entre les histoires de la création et de la recréation qui se terminent avec l’histoire de l’Arbre de la Connaissance. Nous allons à cette occasion approfondir notre compréhension de cette histoire de l’Arbre de la Connaissance en tentant de répondre à la question suivante : « quels sont les problèmes, les dilemmes qui se sont présentés à Adam et ’Hava ? ». Alors, nous ferons le même exercice avec les histoires qui sont des parallèles à celle de l’Arbre de la Connaissance : « Quels étaient les problèmes qui se sont posés aux hommes dans ces histoires ? Dans quelle mesure sont-ils similaires à ceux d’Adam et ’Hava dans l’histoire de l’Arbre de la Connaissance ? ». A partir de là, nous serons prêts à étudier l’histoire d’Avraham : « Avait-il, lui-aussi, ce même type de problématique qu’Adam et ’Hava ? » et nous verrons comment tout ceci est lié à l’histoire de la ’Akeida[2].
Du Macro au micro
Bien. Je viens de vous donner un aperçu global de cette série. Revenons maintenant aux détails, là où nous en étions lorsque je vous ai laissé à la fin de l’épisode précédent. Nous avions vu que l’expression « Voici les générations » apparaissant la première fois dans l’histoire de la création (Béréchit 2:4 « Voici les générations du ciel et de la terre) se retrouvait aussi dans la recréation (Béréchit 10:1 « Voici les générations des fils de Noa’h »). De même avions-nous noté que la notion de divergence se retrouve dans les deux histoires création et recréation. A la nuance près que lors de la création on parle de divergence de rivières (Béréchit 2:10) tandis que lors de la recréation il s’agit de divergence de groupes de personnes (Béréchit 10:5). On sent bien le transfert de centre d’attention de la Torah. Avant le déluge, l’attention est mise sur les éléments naturels – le ciel, la terre, les rivières – mais après le déluge, la Torah « recadre » le tableau sur l’homme – Noa’h, ses enfants, les peuples.
Voilà où nous en étions arrivés. Et je vous avais demandé de réfléchir aux deux points suivants :
- D’une part, pourquoi avoir répété jusqu’à quatre fois les parallèles concernant les « générations » ?
- Et, d’autre part, y-a-t-il un lien, un schéma pour ces quatre parallèles ? Ou apparaissent-ils à des endroits aléatoires ?
Attelons-nous maintenant à répondre à ces questions…
Les parallèles des « Générations »
Prenons le passage de la Torah (Béréchit 9-11) qui comporte les quatre parallèles de type « Générations » dans la recréation et essayons d’en faire émerger une structure.
Analyse de structure
Alors que la Torah vient de citer les générations de Noa’h (ses trois enfants – Béréchit 9:18), celle-ci nous raconte une histoire qui a l’air complètement hors sujet. En effet, elle nous raconte l’histoire de Noa’h et la vigne. Dans cette histoire, Noa’h plante une vigne, boit de son vin et devient saoul. Il se met tout nu dans sa tente. ’Ham le voit nu, et Chem et Yefeth recouvrent sa nudité. Enfin, Noa’h, après s’être réveillé de son vin et s’être rendu compte de ce qu’il s’était passé, maudit le fils de ’Ham, Canaan.
Vient alors une longue section de généalogies des descendances de Noa’h et puis la Torah nous raconte une autre histoire étrange, également apparemment hors sujet : l’histoire de la Tour de Babel. C’est l’histoire de gens qui se rassemblent et veulent construire une tour. D.ieu n’aime pas ce projet et décide de disperser ce groupe.
A peine cette histoire est-elle terminée qu’une autre liste de générations nous est donnée.
En somme, voici ce qu’il ressort assez clairement. Le plan apparaît comme suit :
A. Voici les générations de Noa’h (9:18-19)
B. Histoire #1 (9:20-29) : Histoire de Noa’h et la vigne
C. Voici les générations de Noa’h (10:1)
D. Liste de générations (10:2-31)
E. Voici les familles de Noa’h selon leurs générations (10:32)
F. Histoire #2 (11:1-9) : Histoire de la Tour de Babel
G. Voici les générations de Chem (11:10)
C’est-à-dire que les quatre « générations » encadrent littéralement ces deux histoires : celle de Noa’h et la vigne et celle de la Tour de Babel – toutes deux sont des histoires qui ont l’air de n’avoir aucun rapport avec le contexte.
La question qui pend aux lèvres est : Quel rapport entre ces deux histoires ? Et, surtout, quel intérêt de les encadrer par des « générations » ?
Pour répondre à ces questions, il faut comprendre l’intérêt ou plutôt le rôle des sections relatant des générations au milieu de ces histoires. Et pour ce faire, il va nous falloir revenir à la section de « générations » originelle, celle qui est au début de l’histoire de l’Arbre de la Connaissance (Béréchit 2:4) : « Telles sont les origines du ciel et de la terre » - « אֵלֶּה תוֹלְדוֹת הַשָּׁמַיִם וְהָאָרֶץ ».
Signification
En effet, il est légitime de penser que ce que les « générations du ciel et de la terre » sont pour la Création, les quatre permutations des « générations » des fils de Noa’h le sont pour la Recréation.
Très bien, alors allons-y, relisons ce passage. On est à Béréchit 2:4.
ד אֵלֶּה תוֹלְדוֹת הַשָּׁמַיִם וְהָאָרֶץ, בְּהִבָּרְאָם: בְּיוֹם, עֲשׂוֹת ה׳ אֱלֹקִים--אֶרֶץ וְשָׁמָיִם.
|
4 Telles sont les origines du ciel et de la terre, lorsqu'ils furent créés; à l'époque où l'Éternel-Dieu fit une terre et un ciel.
|
Voilà comment tout a commencé, à l’époque où D.ieu créa le ciel et la terre…
ה וְכֹל שִׂיחַ הַשָּׂדֶה, טֶרֶם יִהְיֶה בָאָרֶץ, וְכָל-עֵשֶׂב הַשָּׂדֶה, טֶרֶם יִצְמָח: כִּי לֹא הִמְטִיר ה׳ אֱלֹקִים, עַל-הָאָרֶץ, וְאָדָם אַיִן, לַעֲבֹד אֶת-הָאֲדָמָה.
|
5 Or, aucun produit des champs ne paraissait encore sur la terre, et aucune herbe des champs ne poussait encore; car l'Éternel-Dieu n'avait pas fait pleuvoir sur la terre, et d'homme, il n'y en avait point pour cultiver la terre.
|
ו וְאֵד, יַעֲלֶה מִן-הָאָרֶץ, וְהִשְׁקָה, אֶת-כָּל-פְּנֵי הָאֲדָמָה.
|
6 Mais une exhalaison s'élevait de la terre et humectait toute la surface du sol.
|
…à cette époque, aucune végétation n’était possible car la pluie n’était encore jamais tombée. En effet, l’humidité provenait du sol. Et, c’est dans ce contexte que...
ז וַיִּיצֶר ה׳ אֱלֹקִים אֶת-הָאָדָם, עָפָר מִן-הָאֲדָמָה, וַיִּפַּח בְּאַפָּיו, נִשְׁמַת חַיִּים; וַיְהִי הָאָדָם, לְנֶפֶשׁ חַיָּה.
|
7 L'Éternel-Dieu façonna l'homme, - poussière détachée du sol, - fit pénétrer dans ses narines un souffle de vie, et l'homme devint un être vivant.
|
…D.ieu créa l’homme et lui insuffla la vie. Et ensuite…
ח וַיִּטַּע ה׳ אֱלֹקִים, גַּן-בְּעֵדֶן--מִקֶּדֶם; וַיָּשֶׂם שָׁם, אֶת-הָאָדָם אֲשֶׁר יָצָר.
|
8 L'Éternel-Dieu planta un jardin en Éden, vers l'orient, et y plaça l'homme qu'il avait façonné.
|
…D.ieu créa le Gan ’Eden et y installa l’homme. Puis…
ט וַיַּצְמַח ה׳ אֱלֹקִים, מִן-הָאֲדָמָה, כָּל-עֵץ נֶחְמָד לְמַרְאֶה, וְטוֹב לְמַאֲכָל--וְעֵץ הַחַיִּים, בְּתוֹךְ הַגָּן, וְעֵץ, הַדַּעַת טוֹב וָרָע.
|
9 L'Éternel-Dieu fit surgir du sol toute espèce d'arbres, beaux à voir et propres à la nourriture; et l'arbre de vie au milieu du jardin, avec l'arbre de la science du bien et du mal.
|
…Il planta toute sorte d’arbre y compris l’Arbre de la Connaissance et l’Arbre de la Vie au centre du Jardin. Et puis, on nous parle des fleuves qui divergent…
י וְנָהָר יֹצֵא מֵעֵדֶן, לְהַשְׁקוֹת אֶת-הַגָּן; וּמִשָּׁם, יִפָּרֵד, וְהָיָה, לְאַרְבָּעָה רָאשִׁים.
|
10 Un fleuve sortait d'Éden pour arroser le jardin; de là il se divisait et formait quatre bras.
|
יא שֵׁם הָאֶחָד, פִּישׁוֹן--הוּא הַסֹּבֵב, אֵת כָּל-אֶרֶץ הַחֲוִילָה, אֲשֶׁר-שָׁם, הַזָּהָב.
|
11 Le nom du premier: Pichon; c’est celui qui coule tout autour du pays de Havila, où se trouve l’or.
|
יב וּזְהַב הָאָרֶץ הַהִוא, טוֹב; שָׁם הַבְּדֹלַח, וְאֶבֶן הַשֹּׁהַם.
|
12 L’or de ce pays-là est bon; là aussi le bdellium et la pierre de chôham.
|
יג וְשֵׁם-הַנָּהָר הַשֵּׁנִי, גִּיחוֹן--הוּא הַסּוֹבֵב, אֵת כָּל-אֶרֶץ כּוּשׁ.
|
13 Le nom du deuxième fleuve: Ghihôn; c’est lui qui coule tout autour du pays de Kouch.
|
יד וְשֵׁם הַנָּהָר הַשְּׁלִישִׁי חִדֶּקֶל, הוּא הַהֹלֵךְ קִדְמַת אַשּׁוּר; וְהַנָּהָר הָרְבִיעִי, הוּא פְרָת.
|
14 Le nom du troisième fleuve: Hiddékel; c’est celui qui coule à l’orient d’Assur; et le quatrième fleuve était l’Euphrate.
|
Et là…
טו וַיִּקַּח ה׳ אֱלֹקִים, אֶת-הָאָדָם; וַיַּנִּחֵהוּ בְגַן-עֵדֶן, לְעָבְדָהּ וּלְשָׁמְרָהּ.
|
15 L’Éternel-Dieu prit donc l’homme et l’établit dans le jardin d’Eden pour le cultiver et le soigner.
|
…D.ieu place l’homme dans le Gan ’Eden afin qu’il s’en occupe. Et…
טז וַיְצַו ה׳ אֱלֹקִים, עַל-הָאָדָם לֵאמֹר: מִכֹּל עֵץ-הַגָּן, אָכֹל תֹּאכֵל.
|
16 L’Éternel-Dieu donna un ordre à l’homme, en disant: "Tous les arbres du jardin, tu peux t’en nourrir;
|
יז וּמֵעֵץ, הַדַּעַת טוֹב וָרָע--לֹא תֹאכַל, מִמֶּנּוּ: כִּי, בְּיוֹם אֲכָלְךָ מִמֶּנּוּ--מוֹת תָּמוּת.
|
17 mais l’arbre de la science du bien et du mal, tu n’en mangeras point: car du jour où tu en mangeras, tu dois mourir!"
|
…D.ieu lui ordonne de ne pas manger de l’Arbre de la Connaissance.
Voilà. On a ici une histoire. Il s’agit de l’histoire de l’Arbre de la Connaissance du Bien et du Mal. Celle-ci est introduite par la création de l’homme, introduite par D.ieu le plaçant dans le Gan ’Eden, elle-même introduite par la création du Gan Eden et de tous les arbres, etc.
Bien, où cette histoire commence exactement ? Dans toute histoire bien écrite, il y a un contexte, puis l’histoire elle-même est racontée. Comme dans tout bon conte de fée qui commence par « il était une fois, dans un pays très très lointain, il y avait une princesse etc. » et seulement après avoir expliqué le contexte, l’histoire commence réellement. Alors, dans notre histoire, où la section de mise en contexte s’arrête-t-elle et où le récit de l’histoire commence-t-il réellement ?
Eh bien, la réponse que je vais vous donner pourrait être un peu subjective, mais j’ai bien l’impression que le « אֵלֶּה תוֹלְדוֹת הַשָּׁמַיִם וְהָאָרֶץ » n’est qu’une introduction, et, une fois que le contexte est placé, alors les actions du récit peuvent commencer. La phrase (Béréchit 2:7) « וַיִּיצֶר ה׳ אֱלֹקִים אֶת-הָאָדָם » - « D.ieu créa l’homme » marque, pour moi, le début de l’histoire[3] de l’Arbre de la Connaissance du Bien et du Mal.
Résumons : la section des « générations » est une introduction, une mise en contexte pour l’histoire principale, à savoir, l’histoire de l’Arbre de la Connaissance du Bien et du Mal.
Alors, peut-être – ce n’est qu’une théorie – peut-être que la même configuration doit se trouver dans les quatre permutations des « générations » des fils de Noa’h dans la Recréation. C’est-à-dire que les « générations » de la Recréations seraient aussi des mises en contextes à des histoires du type « Arbre de la Connaissance du Bien et du Mal ».
Ce qui signifierait que les deux histoires, celle de « Noa’h et la vigne » et celle de « la Tour de Babel » sont en fait des sortes de nouvelles versions de celle de « l’Arbre de la Connaissance » !
Il n’y a, dans ces deux histoires, évidemment, pas de Gan ’Eden, ni d’Arbre de la Connaissance. On les a laissé dernière nous avec la faute d’Adam et ’Hava. Ce que je voudrais montrer, c’est que l’histoire de « Noa’h et la vigne » et celle de « la Tour de Babel » sont des histoires du même type que celle de « l’Arbre de la Connaissance ». C’est-à-dire que les problèmes qui se sont posés à Adam et ’Hava sont peut-être similaires à ceux qui se sont posés dans les deux « néo-histoires de l’Arbre de la Connaissance ».
Qu’est-ce que tout cela signifie ? Eh bien, c’est une bonne question, mais il est encore tôt pour pouvoir y répondre. Déjà, il faudrait montrer que la théorie que je viens de mentionner n’est pas qu’une spéculation. Aussi, j’aimerais m’atteler à démontrer son fondement.
Avant de poursuivre la lecture de cet article, je vous suggère de faire une lecture comparative entre l’histoire de l’Arbre de la Connaissance (qui démarre, comme on l’a dit, à partir du verset Béréchit 2:7) et l’histoire de Noa’h de la vigne (qui démarre, après l’introduction des « générations », à partir du verset Béréchit 9:20). Plus précisément, lisez l’histoire de Noa’h et la vigne attentivement et relevez tout ce qui vous rappelle l’histoire de l’Arbre de la Connaissance.
Noa’h et la vigne : une histoire du type ’Arbre de la Connaissance’
L’histoire de Noa’h et la vigne commence par le passouk suivant (Béréchit 9:20) :
כ וַיָּחֶל נֹחַ, אִישׁ הָאֲדָמָה; וַיִּטַּע, כָּרֶם.
Ce passouk est difficile à traduire. Déjà, le terme « וַיָּחֶל » est étrange. Rachi explique, se basant sur le Midrash, que cela signifie que Noa’h s’est rendu profane. Le terme « וַיָּחֶל » viendrait alors du mot « חולין » - « œuvre profane ». Mais ceci n’est pas le sens simple du mot, ce n’est pas le pchat. Si l’on fait une recherche de concordance dans le Tanakh, on trouve une autre occurrence de ce terme dans Bamidbar 25:1 « וַיָּחֶל הָעָם, לִזְנוֹת אֶל-בְּנוֹת מוֹאָב » où le terme « וַיָּחֶל » signifie « il commença ». Il semblerait que ce soit pareil pour notre passouk avec Noa’h et sa vigne, mais il demeure une différence entre ces deux « וַיָּחֶל » : dans Bamidbar, le verbe « וַיָּחֶל » est succédé par un infinitif, ce qui donne : « il commença à faire quelque chose » ; alors que dans le cas de Noa’h, on a l’impression que « וַיָּחֶל » est une fin en soi. Le passouk se traduirait alors : « Noa’h commença, l’homme de la terre ; et il planta une vigne ». Mais alors le passouk semble incomplet. Qu’est-ce que Noa’h commença à faire ? On ne le sait pas…
Un indice pourrait provenir de son parallèle dans l’histoire de l’Arbre de la Connaissance. Cette dernière commence exactement par (Béréchit 2:7) « וַיִּיצֶר ה׳ אֱלֹקִים אֶת-הָאָדָם, עָפָר מִן-הָאֲדָמָה » - « D.ieu créa l’homme, poussière de la terre… ». Ici, on parle de la genèse de l’homme.
Maintenant, on peut comprendre ce que notre « וַיָּחֶל נֹחַ » signifie. Cela veut dire quelque chose comme « Noa’h commença une nouvelle humanité » … En parlant de « nouvelle humanité », notez la manière étrange dont Noa’h est qualifié : « אִישׁ הָאֲדָמָה » - « l’homme de la terre » : cela ne vous rappelle-t-il rien quant à la création de l’homme ?
Mais bien sûr ! Cela nous rappelle le verset qu’on vient à peine de citer (Béréchit 2:7) « וַיִּיצֶר ה׳ אֱלֹקִים אֶת-הָאָדָם, עָפָר מִן-הָאֲדָמָה » - « D.ieu créa l’homme, poussière de la terre… ».
Et si vous êtes sceptique et que vous pensez que les deux parallèles ci-dessus ne sont qu’une coïncidence, alors ce troisième parallèle – toujours dans le même verset ! – devrait vous convaincre. Regardez la fin du verset « וַיִּטַּע, כָּרֶם » - « il planta une vigne ». Lui trouvez-vous un écho dans l’histoire de l’Arbre de la Connaissance ?
Ça doit vous sauter aux yeux, n’est-ce pas ? Qu’est-ce que D.ieu fait immédiatement après avoir créé l’homme ? Il crée le Gan ’Eden. Et vous savez quel est le terme employé par le passouk ? Le même que pour Noa’h et sa vigne ! Regardez (Béréchit 2:8) « וַיִּטַּע[4] ה׳ אֱלֹקִים, גַּן-בְּעֵדֶן » - « D.ieu planta un jardin en Éden »…
Le premier passouk renferme donc, à lui seul, trois parallèles. Alors ? On continue ?
כא וַיֵּשְׁתְּ מִן-הַיַּיִן, וַיִּשְׁכָּר; וַיִּתְגַּל, בְּתוֹךְ אָהֳלֹה
כב וַיַּרְא, חָם אֲבִי כְנַעַן, אֵת, עֶרְוַת אָבִיו; וַיַּגֵּד לִשְׁנֵי-אֶחָיו, בַּחוּץ
Ces pessoukim sont plus facile à traduire que le précédent. Ici, on nous dit que : « Noa’h but du vin [de cette vigne] et s’enivra ; il se dénuda dans sa tente » et que « ’Ham, père de Canaan vit la nudité de son père et le raconta à ses deux frères à l’extérieur ».
Noa’h consomme du fruit de la vigne, ce qui n’est pas sans rappeler Adam et ’Hava qui ont consommé le fruit défendu (Béréchit 3:6) « וַתִּקַּח מִפִּרְיוֹ, וַתֹּאכַל; וַתִּתֵּן גַּם-לְאִישָׁהּ עִמָּהּ, וַיֹּאכַל » - « elle prit de son fruit et en mangea ; puis en donna à son époux, et il mangea ». Est-ce à dire que la vigne est une sorte de fruit défendu ? C’est tentant de le penser. Car, même si personne n’a défendu à Noa’h de consommer de la vigne, le parallèle avec l’Arbre de la Connaissance n’est pas gratuit. En effet, on a déjà montré que le monde de Noa’h, celui de la Recréation, était celui de l’homme tandis que celui de la Création était celui de D.ieu. Eh bien, c’est pareil pour les arbres :
- c’est D.ieu qui plante l’Arbre de la Connaissance |c’est Noa’h qui plante la vigne
- l’homme mange du fruit directement de l’Arbre | Noa’h mange un produit transformé (vin)
De plus, le vin, à cause de l’alcool quil contient, provoque un certain niveau de conscience chez l’homme, ou disons, la transforme. Ce qui fait évidemment penser à l’Arbre de la Connaissance, offrant aussi une certaine conscience…
La suite du passouk évoque également l’époque d’Eden. « Il se dénuda » est un rappel explicite à la nudité d’Adam et ’Hava – thème très présent dans l’histoire de l’Arbre de la Connaissance : (Béréchit 2:25) « וַיִּהְיוּ שְׁנֵיהֶם עֲרוּמִּים, הָאָדָם וְאִשְׁתּוֹ; וְלֹא, יִתְבֹּשָׁשׁוּ » - « ils étaient tous deux nus, l'homme et sa femme, et ils n'en éprouvaient point de honte »[5].
Et où se dénude-t-il ? Dans sa tente. Cela aussi peut rappeler – par contraste – le Gan ’Eden. En effet, où Adam et ’Hava sont-ils nus ? Dans le jardin de D.ieu, dans sa tente, pour ainsi dire. On retrouve encore le changement de monde (monde D.ieu vs. monde de l’homme).
Continuons le récit de Noa’h et la vigne :
כג וַיִּקַּח שֵׁם וָיֶפֶת אֶת-הַשִּׂמְלָה, וַיָּשִׂימוּ עַל-שְׁכֶם שְׁנֵיהֶם, וַיֵּלְכוּ אֲחֹרַנִּית, וַיְכַסּוּ אֵת עֶרְוַת אֲבִיהֶם; וּפְנֵיהֶם, אֲחֹרַנִּית, וְעֶרְוַת אֲבִיהֶם, לֹא רָאוּ
Traduction : « Chem et Yefeth prirent la couverture, la mirent sur leurs épaules, marchèrent à reculon, et couvrirent la nudité de leur père, mais, leur visage étant retourné, ils ne la virent pas. »
Chem et Yefeth couvrent la nudité de leur père, exactement comme D.ieu lui-même a couvert la nudité d’Adam à la fin de l’histoire de l’Arbre de la Connaissance (Béréchit 3:21) « D.ieu fit pour l'homme et pour sa femme des tuniques de peau, et les en vêtit » - « וַיַּעַשׂ ה׳ אֱלֹקִים לְאָדָם וּלְאִשְׁתּוֹ, כָּתְנוֹת עוֹר--וַיַּלְבִּשֵׁם ». On peut aussi rajouter que, dans les deux cas (Noa’h et Adam), la personne à qui on couvre la nudité est dans l’incapacité de le faire lui-même. Et qui vient à son secours ? Dans le monde de la Création, i.e. le monde de D.ieu, c’est D.ieu Lui-même ; dans le monde de la Recréation, le monde des hommes, ce sont Chem et Yefeth, des hommes donc.
Que se passe-t-il ensuite ?
כד וַיִּיקֶץ נֹחַ, מִיֵּינוֹ; וַיֵּדַע, אֵת אֲשֶׁר-עָשָׂה לוֹ בְּנוֹ הַקָּטָן
« Noa’h se réveilla de son ivresse et il prit conscience de ce que lui avait fait son plus jeune fils ». Dans ce passouk, on voit deux choses : Il y a un réveil, Noa’h sort de sa torpeur « וַיִּיקֶץ נֹחַ » puis il y a une prise de conscience, Noa’h comprend « וַיֵּדַע ». Eh bien, devinez quoi ! On retrouve la-même chose dans l’histoire de l’Arbre de la Connaissance : Adam et ’Hava ouvrent leur yeux et prennent conscience de leur nudité. (Béréchit 3:7) « וַתִּפָּקַחְנָה, עֵינֵי שְׁנֵיהֶם, וַיֵּדְעוּ, כִּי עֵירֻמִּם הֵם » - « Leurs yeux à tous deux se dessillèrent, et ils connurent qu'ils étaient nus ».
La réaction de Noa’h devrait vous rappeler quelque chose... La voici :
כה וַיֹּאמֶר, אָרוּר כְּנָעַן: עֶבֶד עֲבָדִים, יִהְיֶה לְאֶחָיו
Noa’h dit alors : « Maudit soit Canaan! Qu'il soit l'esclave des esclaves de ses frères! ». Que se passe-t-il après que Adam et ’Hava ont mangé du fruit ? D.ieu maudit le serpent ! (Béréchit 3:14) « tu es maudit parmi les animaux et les créatures terrestres » - « אָרוּר אַתָּה מִכָּל-הַבְּהֵמָה, וּמִכֹּל חַיַּת הַשָּׂדֶה ».
Et si l’on y réfléchit un instant, les malédictions sont très similaires. Dans les deux cas, c’est l’instigateur qui est maudit. Et, dans les deux cas, la malédiction consiste à dégrader le maudit de l’égal de ses frères à moins que ses frères. Le serpent était un animal comme les autres, maintenant, il doit ramper et devient ainsi une sorte de sous-animal. De même pour Canaan, il devient l’esclave de ses frères.
Bien. C’est fascinant, non ? Nous avons trouvé plus de dix parallèles entre l’histoire de Noa’h et la vigne et celle de l’Arbre de la Connaissance du Bien et du Mal. Il apparaît donc, au moins au niveau textuel, que l’histoire de Noa’h et la vigne est une histoire du type ‘Arbre de la Connaissance’.
Faisons maintenant le même exercice avec l’autre paire de « générations » qui encadrent l’histoire de la Tour de Babel. Avant de poursuivre la lecture de cet article, je vous suggère de faire une lecture comparative entre l’histoire de l’Arbre de la Connaissance (qui démarre, comme on l’a dit, à partir du verset Béréchit 2:7) et l’histoire de la Tour de Babel (qui démarre, après l’introduction des « générations », à partir du verset Béréchit 11:1). Plus précisément, lisez l’histoire de la Tour de Babel attentivement et relevez tout ce qui vous rappelle l’histoire de l’Arbre de la Connaissance.
La Tour de Babel : une autre histoire du type ’Arbre de la Connaissance’
Voici l’histoire dans le texte :
א וַיְהִי כָל-הָאָרֶץ, שָׂפָה אֶחָת, וּדְבָרִים, אֲחָדִים.
|
1 Toute la terre avait une même langue et des paroles semblables.
|
ב וַיְהִי, בְּנָסְעָם מִקֶּדֶם; וַיִּמְצְאוּ בִקְעָה בְּאֶרֶץ שִׁנְעָר, וַיֵּשְׁבוּ שָׁם.
|
2 Or, en émigrant de l'Orient, les hommes avaient trouvé une vallée dans le pays de Sennaar, et s'y étaient arrêtés.
|
ג וַיֹּאמְרוּ אִישׁ אֶל-רֵעֵהוּ, הָבָה נִלְבְּנָה לְבֵנִים, וְנִשְׂרְפָה, לִשְׂרֵפָה; וַתְּהִי לָהֶם הַלְּבֵנָה, לְאָבֶן, וְהַחֵמָר, הָיָה לָהֶם לַחֹמֶר.
|
3 Ils se dirent l'un à l'autre: "Çà, préparons des briques et cuisons-les au feu." Et la brique leur tint lieu de pierre, et le bitume de mortier.
|
ד וַיֹּאמְרוּ הָבָה נִבְנֶה-לָּנוּ עִיר, וּמִגְדָּל וְרֹאשׁוֹ בַשָּׁמַיִם, וְנַעֲשֶׂה-לָּנוּ, שֵׁם: פֶּן-נָפוּץ, עַל-פְּנֵי כָל-הָאָרֶץ.
|
4 Ils dirent: "Allons, bâtissons-nous une ville, et une tour dont le sommet atteigne le ciel; faisons-nous un établissement durable, pour ne pas nous disperser sur toute la face de la terre."
|
ה וַיֵּרֶד ה׳, לִרְאֹת אֶת-הָעִיר וְאֶת-הַמִּגְדָּל, אֲשֶׁר בָּנוּ, בְּנֵי הָאָדָם.
|
5 Le Seigneur descendit sur la terre, pour voir la ville et la tour que bâtissaient les fils de l'homme;
|
ו וַיֹּאמֶר ה׳, הֵן עַם אֶחָד וְשָׂפָה אַחַת לְכֻלָּם, וְזֶה, הַחִלָּם לַעֲשׂוֹת; וְעַתָּה לֹא-יִבָּצֵר מֵהֶם, כֹּל אֲשֶׁר יָזְמוּ לַעֲשׂוֹת.
|
6 et il dit: "Voici un peuple uni, tous ayant une même langue. C'est ainsi qu'ils ont pu commencer leur entreprise et dès lors tout ce qu'ils ont projeté leur réussirait également.
|
ז הָבָה, נֵרְדָה, וְנָבְלָה שָׁם, שְׂפָתָם--אֲשֶׁר לֹא יִשְׁמְעוּ, אִישׁ שְׂפַת רֵעֵהוּ.
|
7 Descendons! Et, ici même, confondons leur langage, de sorte que l'un n'entende pas le langage de l'autre."
|
ח וַיָּפֶץ ה׳ אֹתָם מִשָּׁם, עַל-פְּנֵי כָל-הָאָרֶץ; וַיַּחְדְּלוּ, לִבְנֹת הָעִיר.
|
8 Le Seigneur les dispersa donc de ce lieu sur toute la face de la terre, les hommes ayant renoncé à bâtir la ville.
|
ט עַל-כֵּן קָרָא שְׁמָהּ, בָּבֶל, כִּי-שָׁם בָּלַל ה׳, שְׂפַת כָּל-הָאָרֶץ; וּמִשָּׁם הֱפִיצָם ה׳, עַל-פְּנֵי כָּל-הָאָרֶץ. {פ}
|
9 C'est pourquoi on la nomma Babel, parce que là le Seigneur confondit le langage de tous les hommes et de là l’Éternel les dispersa sur toute la face de la terre.
|
Lorsqu’on lit l’histoire dans son sens simple, il y a des questions fondamentales qui semblent irrésolues. Et je ne peux pas m’empêcher de vous en faire part dès maintenant. Par exemple :
1. Quel est le sens de cette histoire ? Quel est le problème de cette tour ? Pourquoi D.ieu n’aime-t-Il pas ce que ces gens font en construisant la Tour de Babel ?
2. Il y a des détails superflus. Sur neuf versets seulement : Pourquoi nous citer les matériaux utilisés et la manière de les confectionner ?
3. Pourquoi veulent-ils construire une tour ? Ils en donnent deux raisons. La première, c’est pour se faire un nom. Et alors ? Quel est le problème de se faire un nom ? Aujourd’hui, sur de nombreux bâtiments de yéshivot il y a des plaques avec les noms des donateurs : faut-il les enlever ? Et puis il y a une deuxième raison : ils ne veulent pas être dispersés sur la terre. De quoi ont-ils peur ? Sont-ils contre l’idée de banlieue ? Et puis comment répondre à cette crainte en construisant une tour ?
4. Il y a un manque de fluidité dans la narration de ce texte. Par exemple le texte dit à deux reprises successives « Ils dirent » : pourquoi répéter ?
Et même si ces questions sont passionnantes, je vais vous demander d’être patients, nous en parlerons la prochaine fois.
Alors, qu’avez-vous trouvé comme parallèles avec l’histoire de l’Arbre de la Connaissance? Voici ce que j’ai trouvé de mon côté :
1/ MiKédème
Les gens de la tour de Babel venaient de l’Orient (« מִקֶּדֶם » - verset 2) – qui est exactement le même mot que celui employé pour situer le Gan ’Eden juste avant l’histoire de l’Arbre de la Connaissance (Béréchit 2:8 « וַיִּטַּע ה׳ אֱלֹקִים, גַּן-בְּעֵדֶן--מִקֶּדֶם; וַיָּשֶׂם שָׁם, אֶת-הָאָדָם אֲשֶׁר יָצָר »).
2/ HaAdam
Le passouk 5 a une manière étrange de parler des hommes. Ils les appellent « בְּנֵי הָאָדָם » - « fils de l’homme ». L’article défini devant le mot « הָאָדָם» - « l’homme » interpelle : en effet, pour parler des hommes, le texte aurait dû écrire « בְּנֵי-אָדָם », sans article défini. Mais alors, de quel homme spécifique parle-t-on ? Nos sages (cf. Rachi sur ce passouk) y voit un rappel à l’histoire de Adam dans le Gan ’Eden. Nous reviendrons la prochaine fois sur le sens que cela peut avoir.
3/ Solitude
L’histoire de la Tour de Babel commence par la description de l’unicité de la communauté humaine. Elle était seule. Exactement comme l’histoire de l’Arbre de la Connaissance qui commence par le constat qu’Adam était seul avant que D.ieu ne lui présente ’Hava (Béréchit 2:18) « וַיֹּאמֶר ה׳ אֱלֹקִים, לֹא-טוֹב הֱיוֹת הָאָדָם לְבַדּוֹ; אֶעֱשֶׂה-לּוֹ עֵזֶר, כְּנֶגְדּוֹ » - « D.ieu dit: "Il n’est pas bon que l’homme soit isolé; je lui ferai une aide digne de lui ».
4/ Donner des noms
D’ailleurs, à la suite de ce constat, D.ieu présente à Adam tous les animaux. Et Adam leur donne à chacun un nom (Béréchit 2:20) « וַיִּקְרָא הָאָדָם שֵׁמוֹת, לְכָל-הַבְּהֵמָה וּלְעוֹף הַשָּׁמַיִם, וּלְכֹל, חַיַּת הַשָּׂדֶה » - « Adam donna des noms à tous les animaux et oiseaux de ciel et à toutes les créatures du champ ». Est-ce qu’on a cette notion de ‘donner des noms’ dans l’histoire de la Tour de Babel ? Bien sûr que oui ! C’est tout le sujet ! Ils veulent se donner un nom (verset 4 « וְנַעֲשֶׂה-לָּנוּ, שֵׁם ») !
5/ Construction
On a dans la Tour de Babel – évidemment – à faire à une construction. Ils construisent une tour. Le terme employé est (verset 4) : « נִבְנֶה ». A-t-on une construction dans l’histoire de l’Eden ?
Eh bien, oui. Et c’est D.ieu lui-même qui crée ’Hava à partir de la côte de Adam (Béréchit 2:22) « וַיִּבֶן ה׳ אֱלֹקִים אֶת-הַצֵּלָע אֲשֶׁר-לָקַח מִן-הָאָדָם, לְאִשָּׁה » - « D.ieu organisa en une femme la côte qu’il avait prise à l’homme ». Ce qui est fascinant, c’est que le verbe employé est exactement le même !
6/ Inquiétude divine
La réaction de D.ieu est similaire. Dans les deux cas (et ce sont les seuls de toute la Torah, ce qui rend le lient d’autant plus fort entre ces deux histoires) Hachem a l’air d’être inquiet de la tournure que prennent les évènements et veut donc faire en sorte qu’ils n’aient pas de suite incontrôlée : Il disperse les gens qui ont voulu créer la Tour ou il renvoie Adam du Gan ’Eden.
Regardez-bien le verset 6 de l’histoire de la Tour de Babel :
ו וַיֹּאמֶר ה׳, הֵן עַם אֶחָד וְשָׂפָה אַחַת לְכֻלָּם, וְזֶה, הַחִלָּם לַעֲשׂוֹת; וְעַתָּה לֹא-יִבָּצֵר מֵהֶם, כֹּל אֲשֶׁר יָזְמוּ לַעֲשׂוֹת.
|
6 et il dit: "Voici un peuple uni, tous ayant une même langue. C'est ainsi qu'ils ont pu commencer leur entreprise et dès lors tout ce qu'ils ont projeté leur réussirait également.
|
Et voyons maintenant son équivalent dans l’histoire de l’Arbre de la Connaissance (Béréchit 2:22):
22 L'Éternel-Dieu dit: "Voici l'homme devenu comme l'un de nous, en ce qu'il connait le bien et le mal. Et maintenant, il pourrait étendre sa main et cueillir aussi du fruit de l'arbre de vie; il en mangerait, et vivrait à jamais."
|
On a exactement la même construction de phrase ! Ceux sont les deux seules fois de la Torah qu’on retrouve cette construction : « הֵן » - « אֶחָד » - « וְעַתָּה ». Incroyable, non ?
7/ D.ieu parle au pluriel
C’est assez rare pour le noter. D.ieu ne parle pas de Lui, en général, au pluriel. Pourtant, dans ces deux histoires, c’est le cas. (Verset 7 de notre histoire de Tour : « הָבָה, נֵרְדָה » - « Descendons » et Béréchit 2:22 pour l’histoire de l’Eden « כְּאַחַד מִמֶּנּוּ » - « comme l’un de nous »)
8/ Expulsion
Il est frappant que la punition que D.ieu inflige dans les deux cas est la même, à savoir l’expulsion. L’homme est expulsé du Gan ’Eden et les gens de la Tour sont expulsés et dispersés sur la terre.
Conclusion
Nous avons apporté la preuve que les deux histoires de Noa’h et la vigne d’une part et, d’autre part, la Tour de Babel, sont des « néo-histoires » de l’Arbre de la Connaissance.
Mais la question qui reste est : Pourquoi ?
Certes, on a vu comment toutes ces histoires étaient liées textuellement ou structurellement (avec les sections de « générations »), mais, conceptuellement, comment peut-on expliquer tout cela ? Comment, en fait, ces deux histoires sont-elles liées à l’Eden ? Qu’est-ce que cela signifie de dire qu’elles sont des histoires du type ‘Arbre de la Connaissance’ ?
Pour trouver des réponses à ces questions, nous devons revenir à la source, à l’histoire de Adam et ’Hava dans le Gan ’Eden. Nous devons l’explorer plus attentivement. Nous devons comprendre exactement ce qu’il s’y passe. Et ensuite, nous serons en mesure de revenir à ces deux histoires et de comprendre, peut-être, la façon dont le « Vignoble et la Tour » s’imbriquent et complètent cette histoire.
A la prochaine !
Traduit et retranscrit librement par Ner Barlaï à partir d’une série de conférences données par Rav Fohrman en 2007. Le titre original de la série est : « Brief History of the World: From Adam to Abraham ».
Pour accéder à l'épisode suivant: http://ravfohrman.blogspot.com/2013/06/breve-histoire-du-monde-611-les-racines.html
[1] Cf. la série sur la Sortie d’Egypte où l’on a essayé de comprendre le rôle de la nation « ainée », un rôle de transmission. En effet, il est un problème fondamental dans la religion : comment arriver à avoir une relation avec D.ieu sachant qu’il est un être complètement différent, qu’on ne peut pas toucher, pas imaginer, même pas penser ; alors comment faire pour que le monde ait un lien avec son Créateur ? C’est là que notre analogie avec la famille est intéressante. De même que le premier né d’une famille sert de transition entre les parents et les enfants, le peuple d’Israël, en tant que premier né de D.ieu – béni békhori Israël – doit jouer ce rôle de transmetteur de la parole divine dans le monde, doit jouer ce rôle de transition entre D.ieu et le monde.
[3] (N.d.T.) C’est d’ailleurs la première action de l’histoire. Avant on nous parle de chose qui ont été faites. Là on nous parle d’une action que D.ieu fait. C’est là que le récit commence, tout ce qui précède constitue le contexte.
[4] Il n’y a, dans toute la Torah, que trois occurrences de ce mot
[5] On peut noter la différence entre Adam et Noa’h. Le premier n’a pas honte d’être nu, alors que c’est un mépris pour le second de l’être. Pourquoi cette différence ? On peut aussi l’expliquer par la différence entre les mondes Création/Recréation. En effet, dans le monde de la Création, le monde de D.ieu, l’homme a été créé nu. C’est donc normal qu’il le soit. Tandis que dans le monde de l’homme, le monde de la Recréation, l’homme n’est pas normalement nu, il doit faire une action pour se dénuder – l’état « nu » n’est pas normal…
vraiment excellent! analyse brillante. Je me demande si il n'y aurait pas un "atbach cosmique", c'est à dire à l'échelle de l'histoire du monde. l'Homme se redénude, l'homme se retrouve "de nouveau seul" (ou avec lui même, un autre homme) les malédictions infligées à l'homme et à la femme s'inversent presque. La femme travail à la sueur de son front, pendant que l'homme veut pouvoir enfanter "seul" (mère porteuse, adoption). L'avortement légalisé, la pilule contraceptive pour les mineures, sans accord des parents. Les droits de l'Homme sont de plus en plus mis en avant, c'est l'Homme qui prévaut. Par ailleurs les associations de protection des animaux, qui mettent l'animal sur le même pied d'égalité que l'Homme. Les théories scientifiques qui visent à démontrer le lien étroit préhistorique entre l'Homme et l'animal. Imaginez ce atbach cosmique!!
RépondreSupprimerA propos de la construction de la tour et Babel et celle qui a lieu dans le jardin, Rashi sur "mitzalotav sa côte, son côté" de Bereshit 2.21 établit également semble-t-il un beau parallèle avec le Beit Hamikdash.
RépondreSupprimerVoir également Isaïe 5 avec la parabole de la vigne qui compare Dieu à un vigneron qui a planté sa vigne. Elle donne du verjus au lieu du bon raisin.
Isaïe 5.1
"Je veux chanter à mon bien-aimé le cantique de mon ami sur sa vigne: Mon ami avait une vigne sur un coteau au sol gras. 2 Et il la bêcha, il en ôta les pierres, il y planta des ceps de choix, il bâtit une tour au milieu, il y tailla aussi une cuve, et il compta qu'elle produirait des raisins; or, elle produisit du verjus."
'Hazal disent que cette tour bâtie au milieu c'est le beit hamiqdash, lieu de rencontre de la créature avec son Créateur !
Et le projet babélien en apparait comme une laide approximation, dans cette tentative de remplacer la révélation divine par une révélation humaine artificielle...
Bref, une belle correspondance de plus à creuser ici... Où l’on entrevoit également qu’un certain type de service divin (comme celui décrié par le prophète) relèverait plus de l’arbre de la connaissance du bien et mal que de l’arbre de vie…