jeudi 5 avril 2012

La Sortie d'Egypte - Les plans secrets - Partie 4 (Fin)

Il s’agit là du quatrième et dernier article d'une série sur la Sortie d'Egypte.

Dans cette série, Rav Fohrman nous emmène dans une enquête enivrante sur la Sortie d'Egypte.  Comment expliquer les comportements de Pharaon, de Moché, de D.ieu?

Quels étaient leurs motivations? Que cherchaient-ils au juste? 
C'est à ces questions que cette série va tenter de répondre, cherchant des indices dans les textes de la Torah.


 

Le tournant de l’histoire


Maintenant nous sommes en mesure de parcourir la suite de démonstrations de D.ieu devant Par’o et répondre à l’ensemble des questions restées irrésolues.
Lors de cet exercice, il va falloir être attentif à plusieurs éléments :
1)      Qui endurcit le cœur de Par’o : D.ieu ou Par’o lui-même ?
2)      De quel endurcissement parle-t-on : Kiboud ou ’Hizouk ?
3)      Le rôle des ’Hartoumim (astrologues, magiciens) de Par’o va être crucial, comme nous le verrons.


La première fois que le cœur de Par’o s’endurcit, c’est avant la première plaie. C’est, précisément, lors de l’épisode du bâton-serpent de Moché. Ce dernier jette son bâton à terre devant Par’o et le bâton devient serpent. Par’o demande alors à ses ’Hartoumim de faire de même et ils y parviennent : chacun des magiciens jette son bâton à terre et nous voilà avec plein de serpents (Chémot 7:10-12) :

י וַיָּבֹא מֹשֶׁה וְאַהֲרֹן, אֶל-פַּרְעֹה, וַיַּעֲשׂוּ כֵן, כַּאֲשֶׁר צִוָּה ה׳; וַיַּשְׁלֵךְ אַהֲרֹן אֶת-מַטֵּהוּ, לִפְנֵי פַרְעֹה וְלִפְנֵי עֲבָדָיו--וַיְהִי לְתַנִּין. 
10 Moïse et Aaron se rendirent chez Pharaon et firent exactement comme l'avait prescrit le Seigneur. Aaron jeta sa verge en présence de Pharaon et de ses serviteurs et elle devint serpent.
יא וַיִּקְרָא, גַּם-פַּרְעֹה, לַחֲכָמִים, וְלַמְכַשְּׁפִים; וַיַּעֲשׂוּ גַם-הֵם חַרְטֻמֵּי מִצְרַיִם, בְּלַהֲטֵיהֶם--כֵּן. 
11 Pharaon, de son côté, manda les experts et les magiciens; et les devins de l'Égypte en firent autant par leurs prestiges.
יב וַיַּשְׁלִיכוּ אִישׁ מַטֵּהוּ, וַיִּהְיוּ לְתַנִּינִם; וַיִּבְלַע מַטֵּה-אַהֲרֹן, אֶת-מַטֹּתָם. 
12 Ils jetèrent chacun leurs verges et elles se transformèrent en serpent, mais la verge d'Aaron engloutit les leurs.

Voir de la magie n’impressionne pas Par’o. Il est entouré de magiciens jour et nuit. Si Moché a son serpent alors les magiciens de Par’o en auront aussi un. Même pas impressionné ! Alors le bâton d’Aharon avale tous les serpents des magiciens et Par’o endurcit (’hizouk) son cœur (Chémot 7:13) :

יג וַיֶּחֱזַק לֵב פַּרְעֹה, וְלֹא שָׁמַע אֲלֵהֶם:  כַּאֲשֶׁר, דִּבֶּר ה׳.  {ס}
13 Le cœur de Pharaon persista et il ne leur céda point, ainsi que l'avait prédit l'Éternel.
Pourquoi se donne-t-il du ’hizouk halev ? Eh bien, simplement parce que Par’o est en face d’un « magicien » qui a l’air plus fort que les siens. Il a besoin de courage pour continuer à l’affronter.

Mais D.ieu ne voit pas les choses de cette manière. (Chémot 7:14).

יד וַיֹּאמֶר ה׳ אֶל-מֹשֶׁה, כָּבֵד לֵב פַּרְעֹה; מֵאֵן, לְשַׁלַּח הָעָם. 
14 L'Éternel dit à Moïse: "Le cœur de Pharaon est opiniâtre, il refuse de laisser partir le peuple.

Ceci nous montre une chose: si Par’o pensait qu’il fût courageux, D.ieu savait qu’il y avait plus que cela en vérité. Si Par’o était vraiment impartial, il aurait dû arriver à une autre conclusion. Lorsqu’il vit que le bâton d’Aharon avait avalé tous les bâtons de ses magiciens, il aurait dû comprendre qu’il n’avait pas à faire avec simplement de ‘super-magiciens’ mais plutôt à une différente sorte de puissance – le bâton d’Aharon était différent, qualitativement, bien au-dessus de ceux des magiciens. Mais Par’o choisit d’ignorer cette première défaite. Il s’entêta, donc.

C’est alors que les plaies commencent. Lors de la plaie du SangDam – le Nil est plein de sang, les poissons meurent et il y a du sang partout. Mais, les magiciens de Par’o sont capables de faire la même chose. Lorsque Par’o voient que ses magiciens sont parvenu à reproduire la plaie de Dam, il endurcit son cœur dans le sens de ’hizouk, « וַיֶּחֱזַק לֵב-פַּרְעֹה » (Chémot 7:22), il cherche à se donner du courage afin de combattre cet être puissant qui, pour lui, reste une force parmi celles qu’il connaît déjà.

Vient ensuite la plaie des grenouillestséfardéa’. Là encore, les magiciens sont capables d’imiter la plaie. Mais, lors de cette plaie, il y avait déjà un élément qui démontrait qu’il y avait plus qu’une simple force : la précision dans le temps. Comme nous l’avons vu, D.ieu arrêta la plaie à l’heure exacte qu’avait choisie Par’o. Ce type de maîtrise est absent du système polythéiste, comme nous l’avons vu. Dans ce cas, Par’o aurait dû accepter la suprématie de D.ieu, mais il s’entêta, comme le verset le dit (Chémot 8:11):
יא וַיַּרְא פַּרְעֹה, כִּי הָיְתָה הָרְוָחָה, וְהַכְבֵּד אֶת-לִבּוֹ, וְלֹא שָׁמַע אֲלֵהֶם:  כַּאֲשֶׁר, דִּבֶּר ה׳.  {ס}
11 Mais Pharaon, se voyant de nouveau à l'aise, appesantit son cœur et ne leur obéit point, ainsi que l'avait prédit l'Éternel.

La plaie suivante, les pouxkinim, ne montre pas spécialement d’alliance entre différentes forces ou de maîtrise de la Nature. Elle n’impose donc pas à Par’o de croire qu’il s’agit de D.ieu. Mais, là, les magiciens n’arrivent plus à reproduire la plaie ; ils avouent leur défaite et disent : « אֶצְבַּע אֱלֹקִים הִוא » - « Voilà le doigt de Elokim ». Il faut bien noter qu’ils parlent d’un dieu avec un petit « d », un « elokim » comme les autres. En quelques sortes, ils disent à Par’o : « Nous n’avons pas à faire à des magiciens, il y a vraiment un dieu derrière ». Mais on ne parle pas encore du D.ieu unique, du Créateur. Et c’est pour cela que Par’o ne voit pas, par cette plaie, l’expression d’un être suprême, mais seulement celle d’un dieu qui a du pouvoir. Il a besoin de courage pour continuer son combat face à ce dieu, il se donne du ’hizouk  (Chémot 8 :15) :

טו וַיֹּאמְרוּ הַחַרְטֻמִּם אֶל-פַּרְעֹה, אֶצְבַּע אֱלֹקִים הִוא; וַיֶּחֱזַק לֵב-פַּרְעֹה וְלֹא-שָׁמַע אֲלֵהֶם, כַּאֲשֶׁר דִּבֶּר ה׳.  {ס}
15 Les devins dirent à Pharaon: "Le doigt de Dieu est là!" Mais le cœur de Pharaon persista et il ne les écouta point, ainsi que l'avait dit l'Éternel.


La quatrième plaie est celle des bêtes sauvages’arov. D.ieu passe à un autre niveau de plaie. Là, Il annonce, (Chémot 8 :18-19) :

יח וְהִפְלֵיתִי בַיּוֹם הַהוּא אֶת-אֶרֶץ גֹּשֶׁן, אֲשֶׁר עַמִּי עֹמֵד עָלֶיהָ, לְבִלְתִּי הֱיוֹת-שָׁם, עָרֹב--לְמַעַן תֵּדַע, כִּי אֲנִי ה׳ בְּקֶרֶב הָאָרֶץ. 
18 Je distinguerai, en cette occurrence, la province de Goshen où réside mon peuple, en ce qu'il n'y paraîtra point d'animaux malfaisants afin que tu saches que moi, l'Éternel, je suis au milieu de cette province.
יט וְשַׂמְתִּי פְדֻת, בֵּין עַמִּי וּבֵין עַמֶּךָ; לְמָחָר יִהְיֶה, הָאֹת הַזֶּה. 
19 Oui, je ferai une séparation salutaire entre mon peuple et le tien; c'est à demain qu'est réservé ce prodige.’ "

Ainsi D.ieu veut démontrer qu’Il contrôle le monde : Il a défini le Temps (le jour où la plaie allait frapper) et l’Espace (le pays de Goshen ne sera pas touché). Mais Par’o refuse toujours de laisser partir les enfants d’Israël après cette plaie. D’après vous, c’est du ’hizouk ou du kiboud ? Vous l’avez devinez, bien sûr. Ici, Par’o s’entête, il refuse de voir la maîtrise des éléments par D.ieu. Et c’est d’ailleurs ce qui est écrit (Chémot 8:28-29) :
כז וַיַּעַשׂ ה׳, כִּדְבַר מֹשֶׁה, וַיָּסַר הֶעָרֹב, מִפַּרְעֹה מֵעֲבָדָיו וּמֵעַמּוֹ:  לֹא נִשְׁאַר, אֶחָד. 
27 Le Seigneur accomplit la parole de Moïse et il éloigna les animaux malfaisants de Pharaon, de ses serviteurs et de son peuple; il n'en demeura pas un.
כח וַיַּכְבֵּד פַּרְעֹה אֶת-לִבּוֹ, גַּם בַּפַּעַם הַזֹּאת; וְלֹא שִׁלַּח, אֶת-הָעָם.  {פ}
28 Mais Pharaon s'opiniâtra cette fois encore et il ne laissa point, partir le peuple.

La plaie suivante, celle de la pestedévèr, démontre un niveau encore supérieur de contrôle de la puissance de D.ieu. Il annonce, cette-fois ci (Chémot 9:4) :
ד וְהִפְלָה ה׳--בֵּין מִקְנֵה יִשְׂרָאֵל, וּבֵין מִקְנֵה מִצְרָיִם; וְלֹא יָמוּת מִכָּל-לִבְנֵי יִשְׂרָאֵל, דָּבָר. 
4 Mais l'Éternel distinguera entre le bétail d'Israël et le bétail de l‘Egypte et rien ne périra de ce qui est aux enfants d'Israël.

Ici, D.ieu ne dit pas simplement que, de manière générale, la plaie n’aura pas lieu à Goshen. Il dit qu’il n’y aura pas une seule bête appartenant à un hébreu qui mourra. Cette distinction est vraiment fine, elle révèle une vraie puissance et une réelle maîtrise. Et d’ailleurs, Par’o en a bien conscience car, une fois la plaie terminée, il n’a qu’une chose en tête : vérifier si cela a été réalisé (Chémot 9:7) :
ז וַיִּשְׁלַח פַּרְעֹה--וְהִנֵּה לֹא-מֵת מִמִּקְנֵה יִשְׂרָאֵל, עַד-אֶחָד; וַיִּכְבַּד לֵב פַּרְעֹה, וְלֹא שִׁלַּח אֶת-הָעָם.  {פ}
7 Pharaon fit vérifier et de fait, pas un animal n'était mort du bétail des Israélites. Cependant le cœur de Pharaon s'obstina et il ne renvoya point le peuple.

La seule réaction de Par’o est: « וַיִּכְבַּד לֵב פַּרְעֹה ». Il a vu une preuve irréfutable de la présence du D.ieu Créateur, mais la seule chose qu’il puisse faire est la politique de l’autruche, l’entêtement…

Alors que vient la plaie suivante, les pustulesChé’hine, il n’y a pas de démonstration particulière de la présence de D.ieu. Mais les magiciens sont de retour ! Et cette fois-ci, non seulement ils n’arrivent pas à reproduire la plaie ; mais ils sont eux-mêmes atteints par cette plaie, ils ne peuvent même pas se tenir face à Moché et Aharon (Chémot 9:11) :
יא וְלֹא-יָכְלוּ הַחַרְטֻמִּים, לַעֲמֹד לִפְנֵי מֹשֶׁה--מִפְּנֵי הַשְּׁחִין:  כִּי-הָיָה הַשְּׁחִין, בַּחַרְטֻמִּם וּבְכָל-מִצְרָיִם. 
11 Les devins ne purent lutter contre Moïse, à cause de l'éruption car elle les avait frappés eux-mêmes avec toute l'Égypte

Cela montre bien une chose : la plaie des pustules a été extrêmement violente, puissante. Par’o pourrait peut-être se rendre, accepter de laisser partir les enfants d’Israël de son pays. Il est peut-être prêt à le faire, ses magiciens sont complètement dépassés… Mais, si Par’o les laisse partir à ce moment-là, aurait-ce été lié à un changement théologique de la part de Par’o ? Aurait-ce été parce qu’il eût pris toute la dimension que représente D.ieu ? Aurait-il rejeté le polythéisme ?

Non. Parce qu’il les aurait laissé partir parce qu’il se serait senti dépassé. Mais dès que la mousse serait redescendue, il serait retourné dans ses travers.

Et c’est la raison pour laquelle D.ieu lui-même le renforce. « וַיְחַזֵּק ה׳ אֶת-לֵב פַּרְעֹה » - « D.ieu renforça le cœur de Par’o ». Pour la toute première fois, c’est D.ieu  qui lui donne de la force pour continuer : il ne faut pas que Par’o cède par faiblesse, il faut qu’il reconnaisse pleinement la vérité du D.ieu unique. En quelques sortes, D.ieu lui redonne les moyens de faire ses choix de manière entière[1].


On sent bien qu’on n’est pas loin du point culminant des plaies. Et la plaie suivante, la grêleBarad, d’ailleurs, semble montrer, si l’on peut dire, la perte de patience de D.ieu. Nous l’avions déjà relevé, l’annonce de cette plaie est particulièrement violente (Chémot 9 :14):
יד כִּי בַּפַּעַם הַזֹּאת, אֲנִי שֹׁלֵחַ אֶת-כָּל-מַגֵּפֹתַי אֶל-לִבְּךָ, וּבַעֲבָדֶיךָ, וּבְעַמֶּךָ--בַּעֲבוּר תֵּדַע, כִּי אֵין כָּמֹנִי בְּכָל-הָאָרֶץ. 
14 Car, pour le coup, je déchaînerai tous mes fléaux contre toi-même, contre tes serviteurs, contre ton peuple, afin que tu saches que nul ne m'égale sur toute la terre.

D.ieu fait suivre cette annonce par un message effrayant à Par’o où il fait tomber les masques. D.ieu n’a maintenu Par’o jusqu’à présent que pour qu’il comprenne qu’il n’y a qu’un D.ieu. Il a encore une chance de reconnaître D.ieu, car cette plaie va être d’une puissance inouïe. Et puis, après tout, tant pis, car si Par’o n’arrive pas à accepter, à voir la réalité, alors le reste du monde le verra et la Vérité sortira dans le monde, même dans le consentement publique de Par’o (Chémot 9:16) :
טז וְאוּלָם, בַּעֲבוּר זֹאת הֶעֱמַדְתִּיךָ, בַּעֲבוּר, הַרְאֹתְךָ אֶת-כֹּחִי; וּלְמַעַן סַפֵּר שְׁמִי, בְּכָל-הָאָרֶץ. 
16 Mais voici pourquoi je t'ai laissé vivre pour te faire voir ma puissance et pour glorifier mon nom dans le monde.

Lors de cette plaie – à part avoir montré une force incroyable, à part avoir maitrisé les éléments en mélangeant harmonieusement feu et glace – D.ieu a fait preuve de compassion pour Par’o[2]. Ceci est encore un indice, car les dieux du système polythéiste ne montrent pas de compassion. En effet, pourquoi une puissance quelconque montrerait de la compassion pour une autre puissance avec laquelle elle est en train de se battre ? Mais le Créateur, Lui, montre de la compassion pour ses créatures…

Les plans de D.ieu fonctionnent puisque Par’o admet son erreur et reconnaît D.ieu (il mentionne bien le nom ‘Youd-Key-Vav-Key’) (Chémot 9:27):

כז וַיִּשְׁלַח פַּרְעֹה, וַיִּקְרָא לְמֹשֶׁה וּלְאַהֲרֹן, וַיֹּאמֶר אֲלֵהֶם, חָטָאתִי הַפָּעַם:  יְ-ה-וָ-ה, הַצַּדִּיק, וַאֲנִי וְעַמִּי, הָרְשָׁעִים. 
27 Pharaon fit appeler Moïse et Aaron et leur dit: "J'ai péché, je le vois à cette heure: l'Éternel est juste et c'est moi et mon peuple qui sommes coupables.

Ça y est, le mur d’entêtement de Par’o s’écroule et la vérité éclate. Par’o maintenant se rend compte, en toute conscience, qu’il a été un rebelle face à son Créateur jusqu’à présent.

L’histoire aurait dû s’arrêter là. Mais non. Car qu’arrive-t-il juste après que D.ieu arrête de faire tomber la grêle, Par’o continu à fauter « Vayossef lahato ». C’est la première que la Torah elle-même nous dit que Par’o a fauté. Jusqu’à présent, il ne fautait pas vraiment, parce qu’il n’avait jamais vraiment intégré l’idée qu’il avait en face de lui autre chose qu’un simple dieu polythéiste. Mais maintenant, pour la première fois, Par’o sait qu’il est en guerre avec son Créateur. Il l’a admis. Et alors, une fois encore, il endurcit son cœur (Chémot 9:34):
לד וַיַּרְא פַּרְעֹה, כִּי-חָדַל הַמָּטָר וְהַבָּרָד וְהַקֹּלֹת--וַיֹּסֶף לַחֲטֹא; וַיַּכְבֵּד לִבּוֹ, הוּא וַעֲבָדָיו. 
34 Pharaon, se voyant délivré de la pluie, de la grêle et des tonnerres, recommença à pécher et endurcit son cœur, lui et ses serviteurs.
Mais ce kiboud halev est infiniment plus grave que tous les précédents ! Car jusqu’à présent, il ne faisait que se mettre des barrières afin de refuser de voir ce qu’il se passait. Alors que maintenant, il sait qu’il y a D.ieu, mais il Le rejette, il L’ignore. Il est obstiné.

Et dans cet entêtement, alors qu’il a déjà le cœur dur et lourd (kaved), Par’o a besoin de force pour continuer à assumer son choix, il se donne donc du ’hizouk comme le dit le verset d’après:
לה וַיֶּחֱזַק לֵב פַּרְעֹה, וְלֹא שִׁלַּח אֶת-בְּנֵי יִשְׂרָאֵל:  כַּאֲשֶׁר דִּבֶּר ה׳, בְּיַד-מֹשֶׁה.  {פ}
35 Et Pharaon persista à ne pas renvoyer les enfants d'Israël, comme l’Éternel l'avait annoncé par l'organe de Moïse.

Par’o a ainsi démontré que ses positions étaient irrévocables. Le projet divin change alors.

La destruction de Par’o


Immédiatement après cette réaction décevante de Par’o face à la plaie de la grêle, D.ieu dit à Moché d’aller voir Par’o car Il a endurcit son cœur. C’est bien la première fois que D.ieu endurcit le cœur de Par’o dans le sens du kiboud halev. En effet, Par’o a fait ce choix d’être entêté, D.ieu décide de le laisser dans cette posture et Il explique pourquoi (Chémot 10:1-2) :
א וַיֹּאמֶר ה׳ אֶל-מֹשֶׁה, בֹּא אֶל-פַּרְעֹה:  כִּי-אֲנִי הִכְבַּדְתִּי אֶת-לִבּוֹ, וְאֶת-לֵב עֲבָדָיו, לְמַעַן שִׁתִי אֹתֹתַי אֵלֶּה, בְּקִרְבּוֹ. 
1 L'Éternel dit à Moïse: "Rends toi chez Pharaon; car moi-même j'ai appesanti son cœur et celui de ses serviteurs, à dessein d'opérer tous ces prodiges autour de lui
ב וּלְמַעַן תְּסַפֵּר בְּאָזְנֵי בִנְךָ וּבֶן-בִּנְךָ, אֵת אֲשֶׁר הִתְעַלַּלְתִּי בְּמִצְרַיִם, וְאֶת-אֹתֹתַי, אֲשֶׁר-שַׂמְתִּי בָם; וִידַעְתֶּם, כִּי-אֲנִי ה׳. 
2 et afin que tu racontes à ton fils, à ton petit-fils, ce que j'ai fait aux Égyptiens et les merveilles que j'ai opérées contre eux; vous reconnaîtrez ainsi que je suis l'Éternel."

C’est la première fois de l’histoire de la sortie d’Egypte qu’on voit un tel langage. Ça y est, Par’o n’est plus qu’un pion, son aval n’intéresse plus D.ieu ; par contre, désormais, l’objectif de D.ieu est que toi –  enfant d’Israël – tu racontes à tes enfants et aux enfants de tes enfants que D.ieu a eu un contrôle total sur l’Egypte. Toi, tu as su reconnaître ce que D.ieu a fait en Egypte ; alors que Par’o, lui, a failli à cela. Par’o a refusé de Me reconnaître, mais toi, tu vas le reconnaître à travers la destruction de Par’o.

Voilà le Plan B de D.ieu.

Alors que toutes les premières plaies avaient pour vocation « בַּעֲבוּר תֵּדַע » de convaincre Par’o, les trois dernières serviront à une autre cause : « וּלְמַעַן תְּסַפֵּר ». L’objectif de la Sortie d’Egypte est de dévoiler le monothéisme dans le monde, si ça ne passe pas par Par’o, qu’à cela ne tienne, cela passera par l’Egypte dans son ensemble. D.ieu, par ses dix plaies, a fait une démonstration historique à l’humanité de son existence, et de son contrôle sur le monde, sur l’Espace, sur le Temps etc.

Qu’est-ce que cela signifie pour nous, les Juifs, qui avons été libérés de l’esclavage lors de la Sortie d’Egypte, lors de cette manifestation divine sans équivoque du monothéisme ?

Le peuple élu


Nous avons été libérés de l’Egypte par un acte de D.ieu, ‘en personne’. Mais pour être libérés, il nous a fallu prendre un agneau par maison, l’attacher à notre lit pendant trois jours, puis l’égorger aux yeux de nos maîtres Egyptiens. Nous nous sommes mis en danger, car l’agneau était une divinité pour les Egyptiens. Du sang qui a coulé lors de l’égorgement de l’agneau, nous avons mis sur le tour de nos portes.

Pourquoi tout cela ? Pourquoi D.ieu nous a-t-il demandé d’agir pour mériter de sortir d’Egypte ? Pourquoi cela ne s’est-il pas passé comme lors des autres plaies où les enfants d’Israël n’avaient rien à faire pour être épargnés ?

En fait, il n’y avait rien d’évident à ce que nos premiers nés soient épargnés. Pour sortir indemne de la dernière plaie, il fallait prendre une position forte, publique, pour le monothéisme. Mettre du sang sur la porte symbolise notre volonté de marquer notre territoire : il y a une séparation claire entre ma maison, d’un côté de la porte, et l’Egypte qui est à l’extérieur, de l’autre côté de la porte.

Et voilà pourquoi la fête a été nommé Pessah – littéralement « Passe par-dessus ». Parce que si D.ieu est passé au-dessus de nos maisons, s’il nous a épargnés, c’est parce que nous avions réussi à faire ce choix de Le suivre. C’est à cette occasion que nous sommes devenus son békhor.

Nous sommes devenus békhor, parce que nous avons accepté de reconnaître D.ieu, parce que nous avons, toute la nation, accepté de vivre, de respirer le monothéisme dans le monde. Voilà ce que cela signifie que le peuple Juif est le peuple « choisi » ou encore « premier né » de D.ieu.

Plus que cela. Non seulement avons-nous montré notre attachement à D.ieu, mais nous avons aussi marqué notre unité. En effet, le Maharal de Prague suggère que les lois détaillées du Korban Pessah ne sont pas une interruption dans le récit de la sortie d’Egypte. Au contraire, chacune de ces lois vient appuyer les notions d’unité et de monothéisme : l’agneau doit avoir un an, les os doivent rester entiers, la viande doit être rôtie et non bouillie (la viande rôtie reste compacte alors que la viande bouillie a tendance à se séparer) ; un agneau par maison ; le korban doit se manger en groupe etc. Bref, toutes les lois du korban Pessah rappellent l’unité. Elles nous disent, en quelques sortes : ‘maintenant, tu fais partie d’une communauté, tu es soudé dans ta relation avec D.ieu, tu fais partie des premiers-nés de D.ieu’.

Mais qu’est-ce qu’un békhor ?

Le premier-né dans une famille joue un rôle dans une famille. Il est un leader pour ses frères, il montre l’exemple. Les parents ne peuvent pas jouer ce rôle. Pourquoi ? Parce qu’ils ne vivent pas dans le même univers que leurs enfants. Un enfant ne peut pas s’imaginer avoir une vie d’adulte. C’est là que le premier-né intervient : il permet de faire la transition, de traduire les valeurs de la génération précédente sur la sienne.

Il en va de même avec D.ieu. Il a des valeurs à transmettre : la Torah. Son premier né, c’est le peuple Juif. Et, de même qu’une maman n’a aucune préférence pour l’un de ses enfants, fut-il premier-né, de même il serait faux de penser que D.ieu ait une préférence quelconque pour les Juifs. Mais cette maman attend plus de son premier-né que de ses autres enfants : elle attend de lui qu’il joue ce rôle de transmetteur, de diffuseur, d’exemple dans la famille.

Une partie des Hébreux a su relever ce défi en Egypte : ils ont apporté au monde la valeur du monothéisme et ça n’est que grâce à cet acte de bravoure qu’ils sont sorti d’Egypte et ont formé un peuple dont nous sommes les héritiers.

Téfiline et amour


Nous nous étions étonnés de trouver le concept de békhor dans les téfiline.
Qu’est-il écrit dans les téfiline ? D’abord, il est écrit « שְׁמַע, יִשְׂרָאֵל:  ה׳ אֱלֹקֵינוּ, ה׳ אֶחָד » - « Ecoute, Israël: l'Éternel est notre Dieu, l'Éternel est un! ». D.ieu est unique. C’est l’acceptation du monothéisme. Puis, il écrit « וְאָהַבְתָּ, אֵת ה׳ אֱלֹקֶיךָ, בְּכָל-לְבָבְךָ וּבְכָל-נַפְשְׁךָ, וּבְכָל-מְאֹדֶךָ » - « Tu aimeras l'Éternel, ton D.ieu, de tout ton cœur, de toute ton âme et de tout ton pouvoir ». C’est la traduction de la première phrase dans le monde de l’émotion. Et puis, viens la traduction dans les actes : les lois concernant le békhor. Car nous sommes le békhor, c'est-à-dire qu’il ne s’agit pas simplement de reconnaitre le concept théologique du monothéisme, mais que nous nous sommes engagés à remplir notre rôle dans le monde : être les garants du monothéisme.

Le Talmud raconte que D.ieu porte aussi des téfiline. Qu’y-a-t-il dans les téfiline de D.ieu? Le Talmud répond qu’il y a deux versets tirés du Tanakh :
וּמִי כְעַמְּךָ כְּיִשְׂרָאֵל, גּוֹי אֶחָד בָּאָרֶץ...
Et y a-t-il, comme ton peuple, comme Israël, une seule nation sur la terre…
אוֹ הֲנִסָּה אֱלֹקִים, לָבוֹא לָקַחַת לוֹ גוֹי מִקֶּרֶב גּוֹי, בְּמַסֹּת בְּאֹתֹת וּבְמוֹפְתִים וּבְמִלְחָמָה וּבְיָד חֲזָקָה וּבִזְרוֹעַ נְטוּיָה, וּבְמוֹרָאִים גְּדֹלִים:  כְּכֹל אֲשֶׁר-עָשָׂה לָכֶם ה׳ אֱלֹקֵיכֶם, בְּמִצְרַיִם--לְעֵינֶיךָ. 
Et quelle divinité entreprit jamais d'aller se chercher un peuple au milieu d'un autre peuple, à force d'épreuves, de signes et de miracles, en combattant d'une main puissante et d'un bras étendu, en imposant la terreur, toutes choses que l'Éternel, votre Dieu, a faites pour vous, en Egypte, à vos yeux?

Ces deux versets sont les parallèles parfaits des versets de nos téfiline. En effet, le premier verset de nos téfiline reconnaît l’unicité de D.ieu ; le premier verset des téfiline de D.ieu reconnaît notre unicité. Le second verset de nos téfiline exprime notre engagement envers D.ieu ; maintenant que nous avons reconnu son unicité, nous serons Son békhor. Le second verset des téfiline de D.ieu exprime son engagement envers nous, et parce que nous sommes uniques, Il a agi en notre faveur d’une manière qu’il n’avait jamais fait pour aucune nation auparavant.

Voilà une manière de voir toute l’histoire de la sortie d’Egypte et du concept d’être les « élus ». Pour D.ieu, l’objectif de la sortie d’Egypte était de démontrer la Vérité du monothéisme. Pour nous, l’objectif était de nous engager envers D.ieu, suite à Sa démonstration, et de devenir ainsi Son premier-né parmi les nations du monde.



[1] Je me rappelle un cours de Rav Dessler qui expliquait que par ce biais, Hachem redonnait à Par’o son libre-arbitre. En effet, un homme qui a vu autant de miracles, autant de choses extraordinaires, devrait normalement crouler littéralement sous le poids de ce qu’il a vu. Hachem, dans sa grande bonté, a redonnéà Par’o le pouvoir de faire des choix en toute conscience. (NdT)
[2] En lui donnant la possibilité de sauver ses troupeaux

3 commentaires:

  1. Merci beaucoup pour cette lecture captivante du récit de la sortie d’Egypte.
    Dans ce récit l’épilogue semble être la mort des premiers nés qui vient conclure le ‘’plan’’ de D.ieu.
    Cependant, la conclusion de cette histoire semble se dérouler un peu plus tard. En effet, dans les versets qui suivent la sortie d’Egypte la Torah nous parle à nouveau de l’endurcissement du cœur de Paro par D.ieu, de ‘’‘hizouk’’ et de ‘’kiboud’’ lorsqu’il décide de poursuivre les Hébreux dans le désert.
    La poursuite des hébreux par Paro et sa mort lors de la traversée du Yam Souf semble donc être la dernière étape de ce plan divin. Mais quel est son sens, qu’apporte-t-elle de plus ?
    Bref, à quand la partie 5 de ce passionnant enseignement ?
    J’oserai même ajouter qu’après nous avoir offert ce commentaire pour le soir du seder, la logique voudrait que la réponse à cette question soit exposée avant le 7ème jour de pessah !!

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  2. Oui, effectivement, l'histoire n'est pas terminée avec la sortie d’Égypte. Au contraire, elle semble en être le commencement, justement, pour le peuple d'Israël.
    En effet, la sortie d’Égypte, marque la naissance du peuple d'Israël dont l'histoire continuera et la plan de D.ieu se terminera avec l'entrée en Terre d'Israël - comme nous l'avons chanté le soir du Séder dans le poème "Dayenou".

    En tout cas, tes remarques m'ont fait réfléchir et voilà ce que j'en pense:
    1) Par'o n'est pas mort dans la mer et justement, on dit qu'il y a fait Téchouva en disant "Mikhamokha, mi kamokha". Il a peut-être bien saisi sa dernière chance...
    2) Le peuple Juif tout juste formé avait besoin de s'unifier encore plus, de se créer une histoire etc. Cela passe par des épreuves. Je ne sais plus quel Richone explique que l'épreuve la plus difficile des bné Israël fut la traversée du Yam Souf car se sont eux qui s'y sont jetés sans qu'on ne les y invite: ils ont provoqué le miracle. Donc, Par'o n'étant plus qu'un pion, et Hachem voulant éprouver (pour former, solidifier) son peuple, Il lance Par'o à leur poursuite...

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  3. Mon Naty,

    "Jusqu’à présent, il ne fautait pas vraiment", je ne peux pas t'accorder cette affirmation, surtout en te basant sur le passouk "vayossef lahato", qui signifie clairement, qu'avant ça aussi il était considéré comme un fauteur.
    J'attends une réponse détaillée...;-)

    Mais sinon c'est brillant...

    Nathou

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