Il s’agit là du premier article d'une série en 4 parties sur la Sortie d'Egypte.
Dans cette série, Rav Fohrman nous emmène dans une enquête enivrante sur la Sortie d'Egypte. Comment expliquer les comportements de Pharaon, de Moché, de D.ieu?
Quels étaient leurs motivations? Que cherchaient-ils au juste?
C'est à ces questions que cette série va tenter de répondre, cherchant des indices dans les textes de la Torah.
Secret de famille
Chaque famille a ses histoires qu’elle n’aime pas divulguer en dehors du cercle familial. En parler en dehors de la famille, la met mal à l’aise. Le peuple Juif est une grande famille et a aussi ses quelques cadavres dans le placard.
L’un d’entre eux est la notion d’élection. Comment concilier l’élection du peuple Juif avec les valeurs universelles en cours dans nos démocraties. « Egalité » est un maître mot de notre civilisation. « Les individus sont égaux à la naissance » est un principe de base.
Sommes-nous vraiment tous égaux ? Ou bien y en a-t-il qui sont « plus égaux que d’autres »[1] ? Comment se positionner face à ce dilemme ?
Cela me fait penser à une histoire qui m’est arrivée.
Un enfant étudiait le matin avec son rabbi et l’après-midi avec son professeur de Biologie. Il avait du mal à concilier les deux enseignements. Dans le premier il apprenait la création du monde par D.ieu et, dans le second, on lui expliquait la théorie de l’évolution. Cet enfant était déchiré entre ces deux enseignements, il disait : « Pourquoi mon Rabbi ne va-t-il pas, une fois pour toutes, dire la vérité à mon professeur de Biologie ? ». Son père lui conseilla de considérer qu’il avait deux boîtes dans la tête : le matin, il remplit la première puis la referme avant d’ouvrir la seconde afin de la remplir l’après-midi.
Bien entendu, cette technique ne fonctionna pas. L’enfant lui rétorqua : « Comment puis-je avoir deux boîtes dans la tête ? Je n’ai pourtant qu’une vie ! »
Bref, il faut, soit faire un choix, soit réconcilier ces deux notions que sont l’égalité entre les hommes et l’élection du peuple Juif.
Le nom d'une fête
Imaginez que vous soyez D.ieu. Vous voulez délivrer un peuple de l’esclavage, votre projet est ficelé, tout est prêt. Sauf une chose, qui a l’air d’être anodine. Vous n’avez pas encore trouvé le nom que vous allez donner à la fête qui commémorera cette délivrance.
Vous réunissez donc vos anges-ministres et vous leur demandez conseil. Les propositions fusent : « Independance Day », « Jour de la liberté », « Le Jour de La Sortie d’Egypte » etc. Et là, un ange s’écrit « Passe par dessus »[2] ! Devant le regard ébahi des autres anges, celui-ci poursuit : « Et bien oui, je l’appellerais bien comme cela, car lors de la dixième plaie, D.ieu est passé par dessus les maisons des enfants d’Israël et n’a pas tué les premiers nés d’Israël ».
Trouveriez-vous cette explication convaincante ? Pourquoi nommer une fête d’un détail a priori insignifiant ?
Et pourtant, c’est le nom que D.ieu a choisi : « Pessa’h ». Pourquoi ? Que voulait-Il signifier ?
Des petites boites noires
Imaginez que vous vouliez créer une nouvelle religion. Vous avez eu une idée de génie. Ça y est, vous avez vos six-cent-treize préceptes. Et maintenant, vous souhaitez en sélectionner quelques uns afin de les mettre dans des petites boites noires que vos adeptes pourront emporter partout avec eux et fixer à leur bras et à leur tête pour exprimer leur attachement et leur amour pour vous. Ainsi, ils seront toujours « connectés » à vous. Ces quelques préceptes sélectionnés doivent résumer les fondamentaux de la foi. Ceci est une idée géniale. Mais que mettre dans ces petites boites noires ?
Dans le Judaïsme, nous avons ces petites boites ; il s’agit des Téfiline. Qu’y-a-t-il dans nos petites boites ? Eh bien, il y a des textes fondamentaux, tels que le Chéma Israël, ou Véahavta. Ces textes placent D.ieu en maître sur nous d’un côté, et d’un autre nous demandent de l’aimer. Ils sont complémentaires et basiques.
Mais il y aussi un texte qui ne semble pas avoir sa place dans cette ultra sélection. Il s’agit du commandement nous enjoignant à briser la nuque du premier-né de l’âne (Chémot 13:13). En effet, la Torah nous ordonne dans ce texte de racheter tout premier-né, qu’il soit homme ou animal. Seul le premier-né de l’âne fait exception dans le sens où il ne peut être racheté que par un agneau, sinon on doit lui briser la nuque.
Que fait ce texte de la brisure de la nuque de l’âne dans nos petites boites noires ?
Le premier-né de mes fils
Ce que je voudrais démontrer par la suite, c’est que la notion de « premier-né » - « Békhor » est centrale dans le récit de la Sortie d’Egypte.
A propos de la dernière plaie – « Makat Békhorot » - « La mort des premiers-nés », D.ieu annonce à Moché qu’il devra demander à Par’o de laisser partir Son peuple (Chémot 4 :22):
22 Alors tu diras à Pharaon: ‘Ainsi parle l'Éternel: Israël est le premier-né de mes fils’
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On pourrait penser que D.ieu use ici d’une métaphore pour montrer son amour particulier pour le peuple d’Israël. Mais continuons de lire et nous verrons que D.ieu prend cela au premier degré (Chémot 4:23) :
23 Or, je t'avais dit: ‘Laisse partir mon fils, pour qu'il me serve’ et tu as refusé de le laisser partir. Eh bien! moi, je ferai mourir ton fils premier-né. "
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Ceci ne ressemble pas à de la poésie. D.ieu va tuer des millions de premiers-nés Egyptiens parce que Israël est le premier-né de D.ieu ; au sens littéral. Pourquoi D.ieu accorde-t-il tellement d’importance à cette considération de premier né du peuple d’Israël, apparemment imagée ?
Pourquoi dix plaies ?
Faisons encore une expérience ensemble. Vous imaginez que vous jouez à un jeu vidéo « Exodus » dont l’objectif est de jouer le rôle de D.ieu et de libérer un peuple soumis à l’esclavage. Vous avez tous les pouvoirs, vous pouvez utiliser tous les éléments naturels ou surnaturels. Bref, vous avez les pouvoirs du Tout-Puissant.
Est-ce que, vous aussi, ferez subir les dix plaies aux Egyptiens avant de libérer votre peuple ? A priori, vous voudrez gagner au plus vite et, pour ce faire, actionnerez directement la dernière plaie. Ou bien, vous voudrez peut-être éviter les effusions de sang. Auquel cas, vous rendriez aveugles toute la population Egyptienne, laissant seuls voyant les enfants d’Israël afin qu’ils puissent partir tranquillement. Ou bien encore, vous les rendrez invincibles face aux armes des Egyptiens, de telle sorte qu’ils puissent partir sans souci[3].
Alors pourquoi D.ieu est-il passé par les dix plaies ? Une seule n’aurait-elle pas suffit ?
Une comédie divine ?
La question n’est pas seulement pourquoi D.ieu a infligé dix plaies (et non une seule) aux Egyptiens ; mais aussi pourquoi D.ieu a-t-il eu besoin de l’accord de Par’o ? Pourquoi tout ce « cinéma » ? D.ieu demande à Moché d’aller voir Par’o de nombreuses fois ; mais quelle est la différence pour D.ieu si Par’o accepte ou pas ?
Bon, sans répondre à cette question, on peut au moins admettre de manière sure, que D.ieu veut l’accord de Par’o.
Mais alors on ne comprend plus ce qui se passe après la cinquième plaie. Il y a un début de tournant, de changement d’avis de Par’o qui s’apprête à accéder à la requête de Moché de laisser le peuple d’Israël partir. Mais D.ieu l’en empêche, Il endurcit le cœur de Par’o. Ceci pose d’ailleurs un problème à de nombreux commentateurs : comment Par’o ne peut-il plus avoir de libre arbitre ? Peut-on lui en vouloir encore pour ses agissements ?
A quoi joue D.ieu ? C’est un cercle vicieux ! D’un côté, il veut – pour une raison pour l’instant inconnue – que Par’o accepte de laisser partir Son peuple, mais de l’autre, il ne le laisse pas faire ce choix en endurcissant son cœur. Si D.ieu cherche à faire accepter Par’o de laisser partir son peuple, il ne faut pas endurcir son cœur, et si D.ieu endurcit son cœur, cela veut dire que quelque part, il ne veut pas réellement que Par’o accepte… Que cherche D.ieu, au juste? Le comportement de D.ieu est-il moral ? Il ressemble apparemment plutôt à du sadisme…
Qui est responsable de l’endurcissement ?
Nous allons jouer à un jeu. En lisant les versets, nous allons essayer de deviner qui endurcit le cœur de Par’o. Les versets que nous allons lire se situent à la fin de la paracha Vaéra, alors que la plaie de la grêle a fait ses ravages et qu’elle vient de s’arrêter (Chémot 9:34-35) :
34 Pharaon a vu qu’il avait été délivré de la pluie, de la grêle et des tonnerres, il recommença à pécher ; il endurcit son cœur, lui et ses serviteurs.
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35 Le cœur de Pharaon s’est renforcé et il persista à ne pas renvoyer les enfants d'Israël, comme l’Éternel l'avait annoncé par l'organe de Moïse.
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Lorsque le verset dit : « וַיַּכְבֵּד לִבּוֹ », « il endurcit son cœur » de qui s’agit-il ? Qui a endurcit le cœur de Par’o ?
La réponse paraît évidente : c’est Par’o lui-même qui s’est endurcit le cœur ! Cela est logique puisque le sujet de la phrase précédente est Par’o.
Mais continuons et lisons le verset suivant (Chémot 10:1):
1 L'Éternel dit à Moïse: "Rends toi chez Pharaon; car moi même j'ai appesanti son cœur et celui de ses serviteurs, à dessein d'opérer tous ces prodiges autour de lui
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Dans ce verset, D.ieu prend la responsabilité de l’endurcissement du cœur de Par’o. Comment cela est-il possible ? Le verset précédent nous disait que c’est Par’o lui-même qui avait provoqué cet endurcissement ?
Il y a clairement un problème de lecture des versets qu’il va falloir résoudre.
Kiboud et ‘Hizouk : Pourquoi deux mots pour la même idée ?
Puisqu’on parle de cœur endurci, regardons la terminologie employée par la Torah. En effet, celle-ci a deux manières d’en parler : le ‘hizouk halev (par exemple Chémot 10:20 « וַיְחַזֵּק ה׳ אֶת-לֵב פַּרְעֹה ») et le kiboud halev (par exemple Chémot 10:1 « כִּי-אֲנִי הִכְבַּדְתִּי אֶת-לִבּוֹ »).
‘Hizouk halev vient de la racine du mot ‘Hazak qui signifie « fort ». Kiboud halev, quant à lui, provient du mot Kaved qui signifie « lourd ». Pourquoi y-a-t-il deux manières de parler de cœur endurci ? Il s’agit forcément d’états d’esprit différents que nous devons analyser.
Le meilleur moyen de comprendre la différence entre ‘hizouk halev et kiboud halev est de voir leurs différents emplois dans le Tanakh.
Au début du livre de Yéhoshoua’, D.ieu exhorte Yéhoshoua’ à être « fort et courageux ». Il lui répète de nombreuses fois : « חֲזַק וֶאֱמָץ ».
Nous trouvons la notion de kiboud halev dans le livre de Shmouel I (6 :6) ; alors que les Philistins ont confisqué l’Arche Sainte des enfants d’Israël, celui-ci se met à se battre contre eux. Les Philistins se tournent vers leurs chefs et leur disent :
6 Et pourquoi endurcir votre cœur comme l'ont fait les Egyptiens et Pharaon? Assurément, quand il les eut accablés de sa puissance, ils ont dû renvoyer ce peuple et il est parti!
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C’est-à-dire : Pourquoi vous entêtez-vous ? On sait déjà qu’on l’a perdue, cette guerre !
On voit bien émaner deux types d’endurcissements :
- Kiboud halev : C’est une sorte d’entêtement, de rigidité. La personne est bloquée, têtue dans sa décision. Peu importe si de nouveaux évènements viennent s’ajouter, la décision ne changera pas (comme ces dirigeants Philistins qui ne voulaient rien entendre).
- ‘Hizouk halev : C’est une sorte de courage, de flexibilité. La personne prend en compte les évènements extérieurs (comme Yéhoshoua’ en temps que chef de l’armée qui se doit d’évaluer sans cesse la situation afin de décider des étapes suivantes ; il continuera à avancer et à mener son armée dans un champ de bataille même s’il y a des pertes, tant que celles-ci ne sont pas grandes)[4].
Par’o a fait appel à ces deux types d’endurcissement. Et à chaque fois que Par’o endurcit son cœur, nous devons nous poser la question suivante : Qu’arrive-t-il à Par’o ? Est-il entêté ou courageux ? Pourquoi fait-il ce choix?
La suite ici: La Sortie d'Egypte - Les plans secrets - Partie 2
La suite ici: La Sortie d'Egypte - Les plans secrets - Partie 2
[1] Pour paraphraser G. Orwell « Tous les animaux sont égaux, mais il y a des animaux plus égaux que d'autres. »
[2] « Passe par dessus » est la traduction littérale de « Pessa’h », en anglais, « Passover ».
[3] D’ailleurs, ces options se sont réellement passées avec les enfants d’Israël. Lors de la plaie de l’Obscurité, seuls les Egyptiens étaient aveugles. Lors de la sortie d’Egypte, D.ieu protégea son peuple par des nuées qui empêchaient les Egyptiens de leur porter atteinte.
[4] Il est intéressant de noter que, même biologiquement, ces caractéristiques existent. Un cœur lourd, rigide, kabed, est mauvais pour la mobilité du sang et donc pour la santé. Par contre, un cœur solide, flexible, ’hazak, est un gage de bonne santé.
Traduit librement par Ner Barlaï à partir d’une série de conférences données par Rav Fohrman en Mars 2009. Le titre original de la série est : « Exodus : The Hidden Agenda ».
Les vidéos originales (en anglais) sont disponibles ici:
http://www.aish.com/jl/b/eb/e/48966776.html
Les vidéos originales (en anglais) sont disponibles ici:
http://www.aish.com/jl/b/eb/e/48966776.html
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