La vente de Yossef a des résonnances dans d’autres histoires du Tanakh. Nous avons déjà vus une, dans l'épisode précédent – la Akeida. Nous allons maintenant voir que la vente de Yossef est liée à une autre historie du Tanakh qui n’a a priori aucun rapport et nous en tirerons les conséquences : il s’agit de l’Expulsion de Yichma’el.
Quel rapport y-a-t-il entre la vente de Yossef et l'Expulsion de Yichma'el? Qu'est-ce que cela peut-il venir nous apprendre?
Encore un très bel exemple d'intertextualité inattendu et les leçons à en tirer - par Rav Fohrman.
L’Expulsion de Yichma’el intervient dans le contexte suivant. Its’hak est né et son grand frère Yichma’el a mauvaise influence sur lui. Sarah n’aime pas cela et veut le renvoyer, lui et sa mère Hagar. Avraham n’apprécie pas cette idée mais Hachem lui demande d’écouter sa femme. C’est là que l’histoire commence (Béréchit 21:14). Lisez attentivement le début de ce passage et essayez de repérer tous les indices (mots, thèmes, concepts etc.) qui rappellent la Vente de Yossef.
יד וַיַּשְׁכֵּם אַבְרָהָם בַּבֹּקֶר וַיִּקַּח-לֶחֶם וְחֵמַת מַיִם וַיִּתֵּן אֶל-הָגָר שָׂם עַל-שִׁכְמָהּ, וְאֶת-הַיֶּלֶד--וַיְשַׁלְּחֶהָ; וַתֵּלֶךְ וַתֵּתַע, בְּמִדְבַּר בְּאֵר שָׁבַע.
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14 Avraham se leva de bon matin, prit du pain et une outre pleine d'eau, les remit à Hagar en les lui posant sur l'épaule, ainsi que l'enfant et la renvoya. Elle s'en alla et s'égara dans le désert de Beer Shava.
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טו וַיִּכְלוּ הַמַּיִם, מִן-הַחֵמֶת; וַתַּשְׁלֵךְ אֶת-הַיֶּלֶד, תַּחַת אַחַד הַשִּׂיחִם.
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15 Quand l'eau de l'outre fut épuisée, elle abandonna l'enfant au pied d'un arbre.
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טז וַתֵּלֶךְ וַתֵּשֶׁב לָהּ מִנֶּגֶד, הַרְחֵק כִּמְטַחֲוֵי קֶשֶׁת, כִּי אָמְרָה, אַל-אֶרְאֶה בְּמוֹת הַיָּלֶד; וַתֵּשֶׁב מִנֶּגֶד, וַתִּשָּׂא אֶת-קֹלָהּ וַתֵּבְךְּ.
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16 EIle alla s'asseoir du côté opposé, à la distance d'un trait d'arc, en se disant: "Je ne veux pas voir mourir cet enfant"; et ainsi assise du côté opposé, elle éleva la voix et pleura.
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Voici ceux que nous avons relevés :
1) Renvoi
Les deux histoires font suite à un renvoi. Avraham renvoie Hagar (« וַיְשַׁלְּחֶהָ ») et Ya’akov renvoie Yossef (« וַיִּשְׁלָחֵהוּ »)
2) שכמה
L’épellation du mot « שִׁכְמָהּ » - « son épaule » est la même que celle de « vers Chekhem » - « שְׁכֶמָה »
3) Egaré
A la fois Hagar (« וַתֵּתַע ») et Yossef (« וְהִנֵּה תֹעֶה בַּשָּׂדֶה ») sont égarés.
4) Jeter
Hagar abandonne son enfant (« וַתַּשְׁלֵךְ »). Les frères de Yossef jettent leur frère dans un puits (« וַיַּשְׁלִכוּ אֹתוֹ, הַבֹּרָה »).
5) S’asseoir
Hagar s’assied loin de son fils (« וַתֵּלֶךְ וַתֵּשֶׁב לָהּ מִנֶּגֶד, הַרְחֵק כִּמְטַחֲוֵי קֶשֶׁת »), elle ne peut pas le voir mourir. Les frères, s’asseyent pour manger (« וַיֵּשְׁבוּ, לֶאֱכָל-לֶחֶם »). Etaient-ils loin aussi ? Nous verrons cela plus tard.
6) Il n’y a plus d’eau…
Nous retrouvons ce thème de manque d’eau dans les deux histoires. L’outre de Hagar est vide d’eau (« וַיִּכְלוּ הַמַּיִם, מִן-הַחֵמֶת ») et le puits où Yossef a été jeté est également vide d’eau (« וְהַבּוֹר רֵק, אֵין בּוֹ מָיִם »).
7) …Mais il y a du pain
S’il n’y a pas ou plus d’eau, il y a bien du pain. Les frères en mangent (« וַיֵּשְׁבוּ, לֶאֱכָל-לֶחֶם ») et Hagar dispose encore du pain que lui avait donné Avraham (« וַיִּקַּח-לֶחֶם »).
Il apparait maintenant très clair que les deux histoires sont intimement liées. La question qui se pose maintenant est : « Et Alors ? Qu’est-ce-que cela nous apprend ? »
En fait, si Ya’akov pense qu’il s’engage dans une histoire de Akeida, celle-ci se détourne plutôt en une sorte d’ « Expulsion de Yichma’el ». En effet, de même que Yichma’el a perdu non seulement son statut de Békhor de Avraham mais aussi son statut de fils, d’héritier : il a été déshérité par son père.
C’est ce que les frères font subir à Yossef… Revenons quelques instants à un Rachi que nous avons cités plus haut :
אֶת כֻּתָּנְתּוֹ. זֶה חָלוּק:
אֶת כְּתֹנֶת הַפַּסִּים. הוּא שֶׁהוֹסִיף לוֹ אָבִיו יוֹתֵר עַל אֶחָיו:
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Sa tunique : De son linge de corps.
La tunique colorée : De celle que son père lui avait offerte en plus de ses frères (Béréchit raba 84, 16).
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Rachi nous dit que les frères de Yossef ne lui ont pas seulement enlevé sa tunique de premier-né, ils lui ont aussi enlevé sa tunique de frère : ils ont voulu lui refaire jouer le rôle de Yishma’el !
La question brûle alors les lèvres : ont-ils été trop loin ?
La Torah elle-même, nous l’avons montré plus haut, a l’air de donner raison aux frères. Le vrai békhor est bien Réouven. Pourquoi alors ne pas simplement lui enlever son rôle de békhor ? Pourquoi aller jusqu’à le déshériter complètement ?
Il semblerait qu’ils aient été mus par un noble sentiment de rétablissement de la Justice. En effet, le Midrash met en scène les frères dans une cour de Justice – Beth-Din – où ils auraient siégé et délibéré du sort à réserver à leur frère Yossef.
Essayons pour le moment de situer la différence entre la notion de Justice et celle de Vengeance. Ou bien, autrement dit, qu’est-ce qui ferait déraper la Justice pour qu’elle devienne Vengeance ?
Une différence fondamentale entre ces deux notions est la suivante : la Justice relève de l’Objectif, la Vengeance quant à elle est le fruit du Subjectif. Ou plutôt : la Vengeance est une forme de Justice dénaturée car imprégnée de Subjectivité. Une image parlante est la suivante : Un homme ivre a beau avoir l’impression de marcher tout droit, les personnes autour voient bien qu’il marche en zig-zag. Par quoi les frères de Yossef ont-ils été animés ? La Justice ou sa forme détournée qu’est la Vengeance ?
Nous n’allons pas répondre à cette question tout de suite. Nous chercherons à comprendre exactement quel a été la culpabilité des frères de Yossef dans cette vente. Ils se sentiront coupables et le montreront à plusieurs reprises et nous y reviendrons.
Traduit librement par Naty à partir d’une série de conférences données par Rav Fohrman en Novembre et Décembre 2008. Le titre original de la série est : « The Sale of Joseph ».
Bonjour
RépondreSupprimerJe voudrais rebondir sur le commentaire de rachi sur les 2 habits: il me semble que rachi veut insister sur le fait que le premier habit saisi n est pas la tunique colorée, objet de jalousie, mais l habit normal porte par tout le monde. Cette remarque à partir d une aspérité du texte met en exergue le fait que les frères ne sont pas mues par une haine mais un réel sentiment de justice. En effet si leur moteur avait été la haine alors ils se seraient saisi en premier de la tunique colorée pour se venger d une telle préférence.
Donc je ne pense pas que ici se loge un clin d'œil au fait qu ils veulent destituer yossef de sa famille.
A.Drai
Bonjour,
RépondreSupprimerJe ne comprends pas très bien ce que tu dis car si les frères étaient motivés par un sentiment de justice, c'est justement la tunique colorée qu'ils auraient du enlever à Yossef, et uniquement celle-là, puisque eux ne l'avaient pas. Ils auraient donc du lui laisser la première tunique dont parle le texte, la même que tous les frères avaient, et leur enlever la kétonet passim, non ?
I. R.
Bonjour Itala
RépondreSupprimerMon raisonnment est basé sur une demonstration par l absurde:
Si le freres étaient effectivement animés d'un esprit de "vendetta" mafieuse alors je pense qu'ils se sertaient jettés sur la tunique colorée qui est la preuve charnelle de la préferrence "invivable" d un père pour son fils cadet après 10 autres enfants.
Le fait que Rachi nous empêche de lire dans la répétition du terme tunique un simple rappel du genre "ils lui otèrent sa tunique, oui la fameuse tunique colorée(objet de tant de convoitises)..." et qu' a priori ils ont enlevé la tunique simple avant la tunique colorée ( alors que la colorée est au dessus de la simple ("alav " se rapporte à la première tunique et non a Yossef !) me pousse à penser que la Torah nous spécifie ici qu ils signifient par le premier habit saisi leur véritable attention et l'etat d'esprit qui nous anime: on est pas jaloux, on ne fait qu'appliquer avec sang froid la décision rabbinique de punir l'acte de lèse majesté commis par notre frère et d'aiileurs on a même le vent en poupe puisque Hachem a approuve notre démarche en "complétant" le minian des juges.
Je m appuie aussi sur le changement de sentiments exprimé pâr le texte : ils le haissait puis aprés ils le jalousent (cad selon Rachi plus haut dans Rahel ) une prise de conscience de la grandeur de Yossef qui les "doppent" pour grandir en service divin.
Le sentiment de justice n'est pas de rétablir l'iniquité mais appliquer un psak din de façon zen.
Puis s'il prennent aussi en deuxième lieu la tunique colorée c'est pour des considérations purement techniques de piece à conviction pour Yaacov; il n'y a pas une once de revenche.
D'ailleurs le puits "indiana Jones" plein de scorpions et de serpent est un test pour répondre à la question: qu'adviendra t il de ses rêves d'hégémonie sur la famille ( voir Or hahaim sur place ).